mercredi 12 janvier 2022

JOURNEE MONDIALE SANS PANTALON

 

Bonjour à tous et… joyeuse journée ! En effet, ce 13 janvier c’est la journée mondiale sans pantalon.

Du coup, les personnages de mon roman Joujou vont s’en donner à cœur joie (ou fesses joyeuses)… en attendant la journée mondiale sans culotte le 22 juin.

En effet, dans le roman Joujou, beaucoup de personnages se promènent en sous-vêtements, voire moins. Le protagoniste, bien sûr, tellement étourdi qu’il en oublie souvent son pantalon, mais aussi sa culotte, et même son zizi. (vous pouvez vous procurer ce livre chez Librinova en ebook ou broché). Si lire en ligne ne vous pose pas de problème, vous pouvez faire un tour sur le site de la communauté d’auteurs et lecteurs Monbesteller.com, c’est gratuit.

            Dans mon dernier roman « le sang de l’Hermitage », pas encore publié (date prévue fin février 2022), fini les tranches de rires avec Kevin et son Joujou. C’est un drame, il y a de la violence, des morts, et tout ça en famille. Mais je rassure le lecteur : entre deux scènes hards, beaucoup de tendresse, d’amour et de joie de vivre. Vengeance ! crie l’antagoniste.

            Le sang de l’Hermitage est un roman, mélange de réalisme et de fantastique, écrit dans un cadre campagnard et forestier du Haut Doubs : la combe de Malvaux, en plein cœur des forêts de sapins, située sur l’ancienne commune de Grange Maillot près de Levier. Je me suis donc inspiré de ce décor, là où était située la ferme de l’Hermitage  Je dis bien « était » car malheureusement la ferme de l’Hermitage fut détruite par un incendie en aout 2015. 




 

            Nous sommes en juin 1940. Victor, protagoniste de la fiction, bon vieux paysan franc-comtois, vit ses derniers instants sur son lit de mort. Il demande alors à Dieu un sursis pour profiter quelque temps encore de ses enfants et petits-enfants. Dieu va l’écouter, Dieu va réaliser ses désirs, et bien au-delà de ces espérances. Victor vivra encore longtemps, très longtemps, trop longtemps peut-être.

Notez bien : Hermitage s’écrit avec un H (nom historique) et non : Ermitage (vulgarisé à tort ces dernières années).

Dans ce billet d’aujourd’hui, mais aussi dans les prochains, je vous invite à suivre les péripéties du brave Victor et de sa famille :

 

 

LE SANG DE L’HERMITAGE

Victor fixait cette lumière blanche, pure, incandescente. Elle se réfléchissait au tréfonds de son âme, éblouissait son cerveau bientôt vide, envahissait son agonie.

« Je n’ai pas peur de mourir, j’ai peur de ne plus vivre ».

Ça y est, la raison est morte, mais l’amour respire encore :

« Mon Dieu ! Accordez moi quelques semaines, quelques heures au moins… mes enfants, mes petits-enfants, ma femme… je les entends pleurer là, dans la chambre, s’il vous plait… encore un peu de temps auprès d’eux… »

1

Juin 1940

Dans l’aube naissante moirée d’orange et de bleu, un stuka vrombissait dans le ciel, un pinson s’essoufflait, accroché aux branches du pommier devant la ferme. Dans la chambre rose poudrée, sur son grand lit bateau, le vieux tremblait sous le drap brodé. Était-ce la fièvre, la chaleur de l’été, l’angoisse peut-être, l’angoisse d’être encore là ? Des perles de sueurs dégoulinaient de ses tempes, pourtant la lumière de Dieu lui avait tendu la main dans la nuit.

Marguerite s’approcha du lit et caressa les cheveux blancs de son homme. Marie-Madeleine était à genoux au pied du lit et ses deux sœurs, têtes baissées, mains croisées, restaient debout au fond de la chambre. Seul, Louis, le petit-fils du mourant, se permettait une posture négligée, ses bras derrière le dos appuyé contre le mur, les jambes tendues en avant, comme une envie de s’assoupir. Marguerite se tourna vers ses enfants et son petit-fils :

— Faut aller vous r’poser, c’est pas pour tout d’suite.

Trop content de l’ordre bienvenu, Louis s’éclipsa le premier. Germaine et Jeanne suivirent, heureuses d’aller dormir un peu. Seule Marie-Madeleine resta à genoux, une cornette auréolant son visage de religieuse comme un avion de papier posé sur sa tête.

— Va donc te coucher mère, je veille le papa. Je t’appelle si ça va pas.

De son pas nonchalant, la vieille Marguerite, grise et maigre comme une ablette, quitta à son tour la chambre enveloppée d’une odeur d’huile grasse. L’extrême-onction avait été donnée par Monsieur le Curé de Levier dans la nuit, la messe était dite.

 

Sur les coups de midi, Jeanne entra dans la pièce sombre aux volets clos, comme pour veiller un mort qui n’était pas mort. Elle s’approcha de sa sœur Marie-Madeleine à genoux au pied du lit.

— Va dormir un peu, Madeleine, je te remplace. Voilà bientôt deux jours que tu pries dans cette chambre.

La sœur ainée quitta la pièce tout en marmonnant son désaccord. Jeanne s’assit sur une chaise à côté du lit. Elle prit la main de son père dans la sienne. Elle regardait les paupières closes du vieux, veillait son coma. Huit jours qu’il n’en finissait pas de mourir avec une respiration qui se posait, s’élançait, s’arrêtait puis repartait, des ronflements, gargouillements, raclements sortis de la poitrine, du ventre, du nez, on aurait dit une symphonie sombre où tout le corps participait, tellement l’homme frissonnait, grimaçait, une litanie tantôt crescendo, tantôt grave et creuse, puis de longs silences simulant la mort dans cette pièce aux couleurs du purgatoire. Alors Jeanne essaya de prier, comme pour imiter Sœur Marie-Madeleine : « Mon Dieu, faites que le papa parte sans souffrir. Acceptez le dans votre royaume où le paradis l’attend, il le mérite et vous le savez. Il vous a toujours aimé, n’a jamais manqué la messe et fut votre fidèle serviteur. Vous lui avez offert de porter sa croix lorsqu’il a perdu son fils Henri dans les tranchées de la Meuse. Il a profité d’une vie saine au grand air dans le travail des champs. Il a éduqué ses enfants dans le respect de la religion. Il nous a aimés, a chéri sa femme, ses amis, ses vaches et ses chiens, ses forêts, sa grange et sa chapelle. Ayez pitié de lui ».

Une larme coulait encore sur sa joue lorsqu’elle surprit son père soulevant une paupière, puis l’autre. Elle lâcha brusquement la main de Victor, la crainte peut-être qu’il l’appelle d’un clin d’œil pour l’accompagner dans l’au-delà. Le papa montrait des yeux apaisés, regardait le plafond puis il tourna la tête vers sa fille.

— Jeanne… balbutia-t-il.

— Oh père ! Tu vas mieux… on dirait.

Il ne répondit rien, referma les yeux dans un demi-sourire. Il s’endormit à nouveau, mais ce n’était plus le sommeil sombre et grimaçant. La respiration, longue et calme, rassura Jeanne. Depuis huit jours, cette chambre exhalait un parfum de buis, de fleurs obscures, d’encens, de cierges et d’huiles religieuses. Jeanne se leva brusquement et vida la pièce de tous ces horribles présages, ouvrit la fenêtre et les volets, laissant courir les premières lumières de cette journée de juin dans la chambre du vieux. Elle accrochait le deuxième battant au mur lorsque sa mère entra dans la chambre.

— Mais qu’est-ce tu fais, Jeanne ? Vingt Diou, faut laisser la pièce dans l’noir qu’en l’homme s’en va mourir.

— Mais m’man, le papa va mieux, regarde !

— C’est normal, z’ont toujours un sursaut de vie avant de trépasser.

— Je suis sûr que le papa préfère la lumière pour ses derniers jours, il aura bien l’temps d’être dans le noir.

Marguerite haussa les épaules et vint s’assoir près du lit :

— Tu changeras pas ma pauvre gamine, t’es pas comme les autres.

 

Jeanne respirait le raffinement envié aux gens de la ville. Elle tricotait ses pulls, cousait ses robes qu’elle voulait élégantes, surveillait son maquillage devant l’armoire à glace. Cependant ça sentait la bouse de vache dans toutes les pièces de cette ferme isolée, alors Jeanne se permettait une allure négligée lorsqu’elle mettait le nez dehors. Et elle mettait souvent le nez dehors, car elle aimait la nature, le jardin, alors elle portait de trop grosses bottes et une blouse sale sur le dos. Cette femme déroutante aimait tout à la fois la délicatesse et le rustique.

Elle sortit dans le pré devant la grange pour cueillir coquelicots, jasmins et campanules. Flânant dans le champ, elle souleva la tête. Pas un seul nuage. Elle imagina le papa dans ce ciel azur, loin vers Dieu, Jésus, la Vierge Marie et tous ses parents défunts. En passant devant la fenêtre de son père, elle remarqua les volets fermés.

Jeanne s’engouffra dans la chambre les bras encombrés de fleurs des champs et prit le temps de tout disposer dans un vase qu’elle emplit d’eau. Elle retourna à la fenêtre pour ouvrir les volets sans plus s’occuper des désirs de la mère.

— C’est pour donner de la lumière aux fleurs, m’man.

Marguerite haussa les épaules sans même se retourner. Victor venait d’ouvrir les yeux.

— Comment tu t’sens ? interrogea sa femme.

Victor la fixa sans rien dire.

— Ben oui, tu peux pas causer. C’est l’bon Dieu qui t’rappelle. Faut pas t’en faire, l’curé t’a dit qu’t’irais au paradis.

Par la fenêtre ouverte, le vent chaud de l’été caressait le dos de Jeanne appuyée contre le chambranle.

— Si, il peut causer, il m’a appelée par mon prénom tout à l’heure.

— C’est normal, t’étais sa préférée.

 

C’est vrai que des trois filles et des deux garçons, Jeanne était la chouchoute de Victor. L’avant-dernière de la famille, élevée dans la religion catholique et astreinte à une éducation paysanne rigoureuse, ne ressemblait pas à ses sœurs. Rebelle à la sévérité de la religion, elle se risquait à de petits écarts parmi la société campagnarde des plateaux franc-comtois. Aujourd’hui, à l’âge de trente-six ans, elle ne se gênait pas pour montrer deux boucles d’oreilles plus larges qu’il était autorisé et porter des jupes où l’étoffe commençait à rétrécir dangereusement. Parfois, elle se permettait d’arriver en retard à la messe et de s’installer à droite de la grande nef, un domaine réservé aux hommes. Et le père acceptait tout cela avec bienveillance.

Si, une fois, une seule fois, Victor laissa éclater sa colère. Jeanne avait vingt-quatre ans lorsqu’elle tomba enceinte sans père connu et accoucha d’un joli bébé l’année suivante. Elle l’appela Angèle, comme sa grand-mère. Mais de choisir malicieusement le prénom de sa mère à lui pour son bébé, cela n’avait pas apaisé la fureur de Victor. Comme il vivait avec sa famille dans l’annexe derrière le château, son employeur le Comte de Maillot trouva une solution pour éviter le scandale dans son domaine. Il avait profité de l’âge avancé de Victor, soixante-huit ans, pour lui proposer de quitter sa place de garde particulier. En contrepartie il lui laissait la ferme de l’Hermitage à moins de trois kilomètres de là. Victor pourrait ainsi passer ses vieux jours en aidant sa fille. En effet Germaine avait repris l’exploitation avec son mari Antonio Sacrifi. De quitter cette place de garde particulier qu’il avait tant aimé, ce fut pour Victor la double peine. Il se consola cependant en apprenant que sa succession était assurée. En effet, son fils cadet Joseph reprenait la casquette de garde particulier du château.

L’après-midi s’éternisait pour les deux femmes, assises maintenant côte à côte près du lit. La fille ainée, sœur Marie-Madeleine, entra à son tour pour veiller l’agonisant qui n’agonisait plus. Un stuka  frôla la toiture de la ferme.

— Mais c’est quoi cet avion, c’est pas la guerre quand même ?

Les trois femmes se regardèrent, presque apeurées de voir Victor dans une telle forme. Non seulement il était sorti de son coma, mais il parlait, développait des phrases cohérentes et pleines de bon sens. Fallait il lui répondre, et lui répondre quoi ?

 

 

*****

 

 

 

Assise sur le siège métallique de la faneuse qui secouait violemment ses grosses fesses, Germaine tenait fermement les brides du robuste cheval comtois. Le parfum du foin sec embaumait le pré aux alentours de la ferme. Le vent chaud du sud se leva. Il faudra andainer le foin dans l’après-midi et le charger sur les charrettes avant la nuit, se dit Germaine, craignant l’orage du soir. Pour l’heure, la fille de Victor laissa faire le cheval.

— Oh… hue… oh ! et les lanières claquaient.

Germaine rêvait devant ces paysages de montagne. Cette combe longue et étroite laissait, sur ses côtés, des monts où poussaient foyards et charmes. Sur les hauteurs trônaient les majestueux sapins.

Le cheval avançait de son pas nonchalant, secouant la tête pour repousser les mouches et les taons. Germaine, affublée de son éternel grand tablier sans manches noir et blanc, dandinait sur son siège à ressort. Les brindilles s’envolaient dans son dos en tourbillons dorés sous le soleil de midi. Germaine voyait la ferme au loin dans la combe qui s’approchait à la cadence du pas du cheval. Elle se questionnait sur le surprenant rétablissement de son père. Elle l’imaginait derrière ses gros murs de pierres, assis sur son lit à bavarder avec Marie-Madeleine ou Jeanne, à interroger Louis ou Marcel. Germaine avait mis au monde quatre garçons, dont les trois premiers, Georges, Louis et Marcel donnaient le coup de main à la ferme. Il le fallait bien, son mari Antonio Sacrifi, après une violente dispute, avait quitté le foyer en 1931 pour repartir dans l’Italie fasciste d’où il venait. Quant au quatrième de ses enfants, Pierrot le garnement, il préférait flâner dans les bois, taquiner les animaux sauvages, détruire les nids de fourmis, écraser les araignées, chasser les papillons ou arracher les ailes des mouches. En ces premières semaines de l’occupation nazie, fallait il tout expliquer à Victor ? N’était il pas préférable de le laisser mourir avec ses espoirs de victoire de l’armée française ? Mais il se rétablissait de jour en jour et il était compliqué de le laisser dans l’ignorance. Cependant ses violentes brulures d’estomac montraient que son cancer était toujours présent. C’est vrai qu’il avait retrouvé un esprit vif, mais l’appareil digestif acceptait toujours mal les bonnes soupes de Marguerite et la liste de médicaments du Docteur de Levier.

 

Au repas de midi, presque toute la maisonnée se réunit autour de la grande table de la grande cuisine. Seul Victor resta au lit, et Georges, le petit-fils de vingt ans, gardait les vaches au fond de la combe. La porte d’entrée et la fenêtre restaient ouvertes pour laisser passer un courant d’air bienvenu. Grand-mère Marguerite se leva pour porter une assiette de pomme de terre à son mari qui profitait ainsi de son premier vrai repas depuis longtemps.

Germaine, assise en bout de table à la place de son père, retira les brins de foin qui s’accrochaient à ses épaules. Les patates furent vite avalées, car il fallait s’empiffrer des premières fraises du jardin que Jeanne avait cueillies dans la matinée. Marie-Madeleine, l’ainée, avait le droit de trôner à l’autre bout de la table, sa cornette posée sur le coin du meuble. Louis, le premier des fils de Germaine, récemment démobilisé depuis l’armistice, souriait en écoutant les plaisanteries de son jeune frère Marcel. Ce dernier se permettait de charrier la cousine de douze ans, Angèle si jolie, assise en face de lui. Cette enfant imprévue, cette fleur qui s’épanouissait lentement, si tendre et si merveilleuse, demanda à sortir de table pour rejoindre son grand-père malade.

Victor se tenait assis sur le bord du lit, son assiette chaude sur ses cuisses.

— Entre, ma petite.

Angèle approcha timidement en penchant légèrement la tête, laissant onduler sa longue chevelure blonde sur son épaule. Ses yeux bleus souriaient à Victor.

— Vous voulez des fraises grand-père avant que Marcel ne mange tout ?

Il lui tendit son assiette vide.

— Pose ça sur la commode, j’ai fini de manger, pis j’ai mal au ventre.

— Vous voulez que j’appelle grand-mère ?

— Non, c’est pas la peine, ça va aller.

Le vieux, pourtant de forte corpulence avant sa maladie, montrait un visage creusé, une peau terne et ridée, de grosses poches sous des yeux bleu délavé, des cheveux blancs en bataille. Il venait de fêter ses quatre-vingts ans au plus fort de son agonie. Il cracha sur le parquet, s’essuya le nez et la bouche d’un revers de main et invita sa petite-fille à s’assoir sur le bord du lit à ses côtés puis donna un coup de menton en direction de la cuisine.

— Alors, qu’est ce qui raconte, là-bas. Ils croient que j’suis bientôt mort ?

— Non, grand-père, ils disent que vous allez mieux, beaucoup mieux. Ils disent que vous allez bientôt vous lever.

— Pour sûr, je vais m’lever. Ce soir, après ma sieste, j’irai voir mes vaches, y a trop longtemps qu’elles me manquent et pis mon chien, comment il s’appelle, ah oui… Youki.

— Les vaches pâturent au fond de la combe de Malvaux, c’est le cousin Louis qui les garde avec Youki. Si la maman est d’accord, j’irai le rejoindre cet après-midi.

— Mais Jeanne te laissera aller, j’en suis sûr. Elle te laisse toujours faire c’que tu veux. Elle est trop gentille. Et moi, j’irai voir mon bétail pendant la traite.

— Vous êtes sûr de pouvoir marcher, grand-père ?

— Je vais te dire quelque chose que tu répèteras pas, promis ?

— Oh oui grand-père, ce sera notre secret.

— L’autre nuit, quand j’étais au plus mal, j’ai d’mandé au bon Dieu de m’laisser vivre encore un peu. J’avais trop envie de vous revoir tous et d’vous embrasser une dernière fois.

— Je ne veux pas que vous mouriez, grand-père.

— Justement, Dieu m’a entendu et il m’a répondu. Il m’a dit qu’il voulait bien m'laisser auprès de ma famille parce que j’étais un bon chrétien sur cette terre. C’est pour ça que j’vais mieux aujourd’hui. Tu vois, j’vais encore profiter un peu de la vie. Allez, viens que j’te fasse un gros baiser.

Angèle inclina la tête sur l’épaule du vieux. Le grand-père déposa ses lèvres baveuses sur le front de la jeune fille.

— Mais chut… tu ne dis rien aux autres, d’accord, parce qu’ils vont me prendre pour un vieux fou. Ils disent que Dieu nous écoute, mais qu’il est silence et miséricorde. Pourtant, j’me rappelle bien, il m’a causé l’autre nuit.

— Moi aussi, grand-père, j’ai un secret. Même que la maman, les tantes et les cousins ne veulent pas que l’on vous le répète.

Le vieux approcha son oreille de la bouche de sa petite-fille, comme pour prouver que le secret serait bien gardé.

— Et bien voilà, chuchota-t-elle, les Allemands, il parait qu’ils ont gagné la guerre, et puis ils ont des grosses motos à trois roues et des chars tout bizarres. Y en a devant la mairie à Levier, y en a même dans la cour du château.

Victor fronça les sourcils, se souleva, essaya quelques pas dans la chambre pour rejoindre la cuisine.

— Où allez-vous, grand-père, ne dîtes pas que c’est moi qui ai dit, s’il vous plait.

Le vieux fit demi-tour, jeta un regard compatissant vers sa petite fille et, grimaçant sous les courbatures, s’allongea sur le lit. Ses lèvres pincées accentuaient les rides autour de sa bouche. Il regardait le plafond, se rappelait ce mois de mai avant son coma : l’avancée allemande dans les Ardennes, son fils Joseph mobilisé, ses petits-fils Louis et Georges sur le front, tout lui revenait en pleine figure. Il croyait tout ce beau monde à Berlin, le drapeau français planté au sommet de la porte de Brandebourg.

 

 

*****

 

 

Le vieux Victor se levait régulièrement, surveillait la traite et donnait conseil à ses petits-fils Louis, Georges et Marcel. Il se tenait souvent le ventre en grimaçant, mais continuait de s’intéresser aux activités de la ferme, même s’il se sentait trop faible pour aider aux gros travaux. Pour se donner bonne conscience, il prenait une fourche et déplaçait quelques brins de foin dans un coin de grange, se courbait pour vérifier le ventre des petits veaux puis se relevait pour caresser le dos de Blanchette et de Poupette, deux vaches taries qui restaient à l’étable.

Ce matin-là, il s’était levé un peu tard. Il avait donc raté la prière du matin, toujours orchestrée par sa fille ainée, sœur Marie-Madeleine. La ferme possédait une chapelle et le nom de l’Hermitage expliquait cette particularité. Une légende courait, expliquant qu’en des temps plus reculés, un moine s’implanta en ce lieu pour défricher le coin, construisit une chapelle et y vécut en ermite. Au fil des siècles, un bâti agricole et de vie commune s’étendit autour de l’oratoire. Aujourd’hui la chapelle avec sa voute, sa chaire, ses statues, son petit autel et la croix du Christ appelait toute la famille Chandou et Sacrifi à prier chaque matin. L’édifice religieux se situait à droite au fond du couloir. Les autres portes, toutes du même côté, desservaient la grande cuisine, le poêle et la chambre à coucher de Victor et Marguerite. Sur la gauche, une longue enfilade de poutres soutenait la charpente. Au centre, une pièce où l’on aimait l’odeur du fumé, le parfum du Haut Doubs, c’était l’imposant thuyé, l’âtre où l’on fumait jambons, lards, échines ou saucisses. Derrière couraient la grange, l’étable et l’écurie.

Victor déboutonna sa braguette et pissa dans la rigole de l’écurie où se mélangeait le purin des vaches et des chevaux. Bien en jambe en cette fin de matinée, à part ses brulures d’estomac persistantes, il décida de s’aventurer à l’extérieur de la ferme.

Il marcha d’un pas lent, aidé de sa canne, et grimpa le chemin devant la bâtisse. Parvenu au-dessus du crêt à cent mètres en surplomb de la grange, il découvrit les prés de Bellecombe et les lacets de la route qui s’enfilaient plus bas dans la forêt de sapins. Sous le chaud soleil de ce début aout, il dut mettre sa main en visière pour essayer de reconnaitre la silhouette : un pantalon large, une chemise blanche à manche longue sous un pull rayé sans manches, une casquette plate. Elle avançait sur le chemin à la sortie du bois. Et plus la silhouette approchait, et plus elle agitait les bras au-dessus de sa tête. Lorsque Victor reconnut Joseph quelques pas devant lui, il ouvrit les bras. Le fils cadet embrassa son père avec pudeur puis se recula pour le dévisager.

— Mais dis-moi, père, la dernière fois que je t’ai vu, tu gardais le lit, tu vomissais souvent. Tu as encore maigri, mais je vois que tu es debout.

— Ben ma foi, mon fils, ça va tout de suite mieux depuis voilà quelques jours. Alors, raconte, pourquoi t’es pas rentré comme les autres.

— Tu sais, père, je suis resté dans le flot de la débâcle depuis mon campement dans les Vosges. À la démobilisation, j’étais dans le Sud-Ouest. Je suis revenu à pied avec un collègue du régiment. Les boches m’ont arrêté à la ligne de démarcation pas loin d’ici du côté de Champagnole. Ils m’ont gardé deux jours puis m’ont relâché et me voilà.

Le vieux cracha à terre et s’essuya le nez du revers de sa main.

— Tu parles d’une histoire, perdre la guerre comme ça, c’est ma foi pas possible. Et c’est pour voir ça que le bon Dieu m’a laissé vivre ! Allez, vient fiston, tu dois avoir faim.

— Je veux bien manger un morceau, père, après je continue jusqu’au château. La Maria et les enfants vont être contents de me revoir.

— Je suis encore patraque sur mes jambes, sinon je t’aurais accompagné pour embrasser les petits-enfants, je les vois pas si souvent.

— Voilà les moissons, promis père, Maria et les enfants, on viendra te voir, et comme ça je donnerai un coup de main à la batteuse.

Après le repas, Joseph reprit son bâton de pèlerin et longea la combe à travers champs et forêts pour rejoindre l’annexe du château deux kilomètres plus au nord. De son côté, Victor déambula jusqu’au pré de Malvaux où blondissaient les blés. Il arracha un épi et, après l’avoir frotté de ses mains calleuses, gouta entre ses dents la qualité du grain. « Mais bon Dieu, c’est déjà trop mûr, faut vite que la Germaine et Louis viennent faucher. »

Le lendemain, sous un soleil généreux et une bise froide, Louis se courba au bout du champ pour tourner la manivelle de la lieuse. La roue motrice souleva alors l’engin pendant que Georges attelait les deux Comtois. Les chevaux s’enfoncèrent dans la moisson et foulèrent le blé de leurs lourdes pattes. Georges, assis sur le siège pour guider les Comtois, surveillait la coupe. Marcel et Angèle couraient derrière pour déplacer les gerbes de blé.

Marcel affichait une petite moustache que ses dix-huit ans laissaient clairsemée. C’était un beau gosse avec des cheveux sombres, des yeux clairs. Angèle, malgré son jeune âge, ne s’y trompait pas. Elle s’amusait à taquiner le cousin.

— Pari que j’arrive à la mare avant toi !

Marcel laissa la jeune fille s’élancer puis courut sagement derrière elle. La jolie blonde gagna la course, mais se fit réprimander par sa mère.

— C’n’est pas l’moment de s’amuser, faut s’dépêcher avant l’orage.

A suivre… d’ici quatre jours à cinq jours…


jeudi 6 janvier 2022

Y A TOUJOURS QUELQUE CHOSE A FETER

 

           Ma page Facebook.

Bonjour à tous, et… joyeuse Épiphanie !

Hé oui… il faut bien que je fête quelque chose. Dans mon premier article, je vous souhaitais un joyeux Noël, dans le suivant, je vous souhaitais une bonne année. Aujourd’hui 06 janvier, c’est la visite des rois mages auprès de l’Enfant Jésus, alors c’est encore la fête. Dans cette vie, sur cette planète, dans notre douce France, il y a toujours quelque chose à fêter. Je me lance donc un défi : chaque fois que j’écrirai sur ce blog, il y aura une fête quelque part et je l’évoquerai. Et si certains jours il ne vient pas d’évènements réjouissants, alors je n’écrirai pas. Mais je suis convaincu qu’il y a toujours quelque chose de joyeux, de beau, de riche, quelque part, et chaque jour.

Pourtant je viens d’achever mon troisième roman, il est sombre et cruel. Mais comme l’histoire se passe dans une ferme du Haut Doubs, et en une période tellement joviale, forcément il y a de belles pages pleines d’amour, de tendresse, de noces à l’ancienne avec plein de bonnes bouffes, tout ça entre deux viols, deux crimes ou deux assassinats.

Ma plateforme d’autoédition et agent littéraire Librinova avec laquelle j’échange beaucoup en ce moment, du fait des corrections, m’a fait part de son avis sur le roman :

Sous forme d’une saga alliant réalisme et fantastique, ce manuscrit retrace la destinée tragique d’une famille avec un style littéraire imagé et une succession de péripéties qui savent maintenir le lecteur en haleine.

  Ci-dessous, la suite de mon dictionnaire des défauts de l'être humain. mon site Et dans cette liste, la lettre B peut se vanter de pro...