Bonjour à tous.
Le printemps des poètes, c’est du
12 au 28 mars. Le thème cette année : L’ÉPHÉMÈRE.
Va-t-on parler de la guerre en
Ukraine ? Sera-t-elle éphémère ? Pas sûr ! Les dictateurs, eux,
ne sont malheureusement jamais éphémères. Connaissent ils la poésie ? Non,
impossible… violence et beauté des vers sont immariables.
Tout autre chose : dans un
précédent article, je m’engageais à vous proposer un concours concernant la
bêta-lecture. Mon roman « Le sang de l’Hermitage » est achevé. Suit
un autre livre dont l’écriture est presque terminée. C’est un recueil de
nouvelles, intitulé « Des nouvelles de l’amour et de la mort ». En
fait, le titre n’est pas définitivement arrêté. C’est justement grâce à de
nouveaux bêta-lecteurs que je pourrai affiner le titre de ce livre. Et j’ai
besoin de bêta-lecteurs supplémentaires. Ceux-ci pourront, après lecture de
mon manuscrit, me donner leur avis sur : l’attrait du roman, l’intérêt des
intrigues, la justesse des personnages, la fluidité du style, les éventuelles erreurs
de syntaxe, plus globalement, est-ce que le roman plait ? Inutile de
s’attarder sur les fautes d’orthographe, celles-ci sont contrôlées par un
correcteur professionnel.
Avant d’épurer mon texte de
toutes les fautes d’orthographe (j’ai honte !) je demande un dernier avis
à mes bêta-lecteurs. Puisque vous découvrez mon livre avant publication, vous
pourrez me donner votre avis sur le type de couverture, le titre et le texte de
quatrième de couverture. Ensemble, nous
serons donc à même d’améliorer la présentation du livre. Ensuite il sera publié
par ma plate-forme d’autoédition préférée LIBRINOVA.
Donc avis aux intéressés. Les trois
premières personnes qui répondront favorablement à ma demande seront donc mes
nouveaux bêta-lecteurs. Deux primo-lecteurs me suivent déjà. Trois de plus, cela
serait parfait.
En récompense, vous recevrez mes
livres dédicacés : ceux déjà publiés : « Un chemin trop
fragile » et « Joujou », deux à venir prochainement, « Le
sang de l’Hermitage » et « Des nouvelles de l’amour et de la
mort ».
J’ai pris du retard pour la
sortie « le sang de l’Hermitage » et m’en excuse auprès de mes
lecteurs à qui jamais promit une sortie pour début mars. Des problèmes
juridiques (concordance entre faits historiques et personnages imaginaires)
m’ont amené à réfléchir à d’éventuelles modifications. Donc « Le sang de
l’Hermitage » sera plutôt publié en avril prochain). Pour le recueil
« Des nouvelles de l’amour et de la mort », il faudra patienter à
l’été. Pour me contacter : jacky2539@orange.fr.
Si vous suivez sur ce blog
« Le sang de l’Hermitage », ci-dessous, la suite du feuilleton :
*****
Ce fut d’abord un bruit sourd au loin, puis
mécanique. Enfin un long sifflet retentit du haut du chemin qui surplombait la
ferme. L’énorme machine apparut, telle une locomotive, tirée par un vigoureux
percheron. Le mécanicien marchait à côté du cheval. Louis, Georges et Germaine
coururent au-devant de la batteuse. Angèle suivait en souriant, ayant déjà
oublié la gifle de la veille.
Il fallut placer l’engin à l’entrée de la grange où
toutes les gerbes de céréales s’entassaient. Les poules caquetaient dans les
jambes des paysans. Victor se leva de son lit sans demander l’autorisation. Il
n’était pas concevable que cette journée de batteuse se déroule sans lui. Il
superviserait ce temps de fête et de labeur.
Tout le monde se retrouva sur le pont de grange
autour de la batteuse. La machine se mit à ronfler. Marcel, avec un simple maillot
de corps comme tous les hommes du jour, sauta sur la vanneuse pour pousser les
gerbes à l’intérieur de l’engreneur. Erwan tirait la paille à l’avant de la
machine pour la trainer ensuite dans la grange. Germaine, Joseph et deux commis
d’une ferme voisine se flattaient de confectionner le plus beau pailler de la
région. Le fond du fenil se parait d’or sous les faibles rayons de soleil qui
s’enfilaient sous les tuiles cassées.
Louis, les épaules baraquées, montrait ses muscles
en soulevant les sacs de quatre-vingts kilos de graines. Pierrot devait
normalement aider à la confection du pailler, mais il préférait donner le coup
de main à Angèle. La jeune fille, dans la poussière et la chaleur lourde,
ramassait les « menus » autour de la presse. Le vieux Victor, contrôleur en
chef, se chargeait de la pesée du grain.
Le repas de midi, mijoté par Marguerite et sa fille
Jeanne fut apprécié de toute l’équipe. Sœur Marie-Madeleine aida au service
autour de la grande table de fortune installée dans la grange. Elle demanda une
prière avant de déjeuner afin de remercier Dieu pour cette année fertile.
— Si les boches ne nous volent pas tout !
s’exclama le vieux Victor, installé en bout de table, se tenant toujours le
ventre.
— Qu’ils viennent donc, on les attend, répliqua
Joseph d’un ton sérieux.
— Oui, tu as raison mon fils, d’ailleurs j’ai
planqué mon fusil de chasse. Non, mais ! À les écouter, il aurait fallu déposer
nos armes à la mairie de Levier.
Joseph se tourna vers Victor.
— Ne le chante pas trop fort, Père, par les
temps qui courent, tout le monde surveille tout le monde.
Le reste du repas se poursuivit dans la bonne
humeur, telle l’ambiance habituelle de ces jours de solidarité paysanne. À
l’autre bout de la table, presque le dos contre la batteuse, Angèle se laissait
taquiner par les grands cousins Louis et Georges. Pierrot guettait le badinage,
l’œil mauvais.
Après le coup de sifflet sonnant la fin de la
récréation, la « chaudière » ronfla à nouveau. Les hommes aimaient se retrouver
entre ce travail physique et les farces fréquentes. Les fourches et les sacs
jouaient ce ballet agricole, et en fin de journée tout le monde était fourbu,
mais heureux. Chacun, suant et poussiéreux, se rinça le visage et le torse à la
fontaine devant l’étable.
Jeanne, les bretelles accrochées sur les épaules,
endossa l’accordéon. Elle fit chanter les paysans, assis autour de la grande
table dans la grange éclairée, à l’heure du kirch et de la mirabelle. Angèle
dansait seule, les pieds dans la paille. Erwan chantait en allemand, on le fit
taire dans un grand éclat de rire général. Les deux paysans de la ferme du
château, joviaux et fins amuseurs, après quelques verres de piquette, geste des
scieurs de long à l’appui, égrainèrent l’épitaphe pleine d’humour d’un ami
auvergnat imaginaire. Ainsi s’achevait le discours devant la tombe
chimérique : « Chi git Augustin, le roi des chieurs de long, il est mort
en chiant, chiez pour lui… » et la petite assemblée s’empiffrait de rires et de
chants. À plus de deux heures du matin, lorsque l’accordéoniste entama la
chanson des blés d’or, tout le monde reprit en chœur :
Mignonne, quand le soir descendra sur la terre
Et que le rossignol viendra
chanter encore,
Quand le vent soufflera sur la
verte bruyère,
Nous irons écouter la chanson
des blés d’or !
3
Janvier 1942
Angèle, sous un ciel couvert, s’aventura sur le
chemin du château. Ses bottes s’enfoncèrent dans la neige fraiche de la nuit.
Elle suivit les empreintes d’un autre, comme un jeu, une récréation. Elle
parvint, après une petite heure de marche, jusqu’au mur en contrebas du manoir
où les pas mystérieux la conduisaient. Elle regardait loin devant elle pour ne
pas être surprise par cet étranger qui la précédait. Les traces l’emmenèrent
dans la forêt. Des pas de chevreuils qu’elle savait reconnaitre croisèrent son
chemin, puis une trace de lièvre.
Le nez sur le sol blanc, elle entendit une voix qui
s’étouffait dans la neige devant elle. Elle releva la tête. La cabane de
Diogène se distinguait dans la blancheur de la forêt. Pierrot, sur le pas de la
porte, secouait ses chausses pleines de neige puis entrait dans la bicoque. La
curieuse se risqua à faire quelques pas, avec cette envie de connaitre les jeux
étranges des ados. Une fumée blanche et sinueuse s’élevait de la cheminée et se
mélangeait à la brume du ciel. La jeune fille contourna la cabane et s’approcha
de la petite fenêtre située à l’arrière. Elle n’osa coller son front contre la
vitre de peur d’être découverte, mais elle perçut la voix autoritaire de son
cousin. Elle comprit que cette fois-ci, Pierrot était le maitre, Diogène, le
serviteur.
— Viens et embrasse-moi sur le front…
maintenant, retourne dans ton cercle.
Craignant peut-être que la punition de l’autre jour
ne se renouvèle, Angèle préféra quitter l’endroit sur la pointe des pieds.
Le soir même, alors qu’elle accompagnait Victor dans
sa chambre, elle se confia à lui.
— Grand-père, Pierrot est bizarre en ce moment.
— En c’moment ? Mais c’est tout l’temps qu’il
est bizarre ! Aide-moi plutôt à monter dans le lit.
Angèle souleva la jambe de Victor et l’enfila sous
le drap. Elle remonta la couverture et tira l’édredon de plumes jusque sous le
cou du vieux.
— Vous saviez, grand-père, que la cabane
forestière était habitée ?
— Habitée ?
Il se souleva sur ses coudes, repoussa l’édredon,
fixa sa petite-fille, attendit la suite.
— Même que Pierrot va souvent retrouver son ami
qui vit là-bas.
— C’est qui ?
Angèle souleva ses petites épaules.
— Je ne sais pas, mais tous les deux, ils font
des expériences, ils se donnent des ordres bizarres, puis l’autre, il obéit
sans discuter.
— Écoute Angèle, je suis fatigué. J’irai voir
c’qui s’passe à la cabane dès que les chemins s’ront ouverts.
— Bonne nuit grand-père.
Angèle se retira discrètement de la chambre. Dans le
couloir, elle croisa Pierrot qui sortait de la cuisine.
— Ah, tu tombes bien, toi, viens donc, dit-il.
Il empoigna de force sa cousine et la traina jusqu’à
la chapelle. L’intérieur était à peine éclairé par le cercle de bougie. Il
approcha de la lumière, sans respecter la croix qui les surveillait du haut de
l’autel :
— Tu ne serais pas venue nous guetter à la
cabane ce matin ?
Angèle fit sa génuflexion devant la croix puis se
releva, cherchant les yeux sombres de son cousin dans l’ombre du visage fin.
— Pourquoi tu me demandes ça ?
— Parce que les pas dans la neige, ce sont les
tiens. Tu es venu guetter par la fenêtre de derrière.
— Ben, les pas, c’est peut-être n’importe qui !
— On vérifiera demain avec tes bottes. Tu
laisseras une empreinte dans la neige devant la ferme et l’on verra bien. Je
suis sûr que c’est toi.
— Oui, c’était moi. De toute façon, je n’ai
rien vu.
— Mais qu’est-ce que tu as donc à me filer
comme ça ? Je te manque ?
— J’ai envie de savoir ce que tu fais.
— Ah, tu as envie de savoir ce que je fais ? Eh
bien, tu vas savoir ce que je fais.
Il entraina la jeune fille jusqu’au fond de
l’étable, dans la paille, vers les petits veaux. Les montbéliardes, les chevaux
et même les cochons depuis leur boxe d’à côté apportaient une tiédeur agréable
dans l’odeur âcre de l’écurie. Surprise par les mouvements brusques de Pierrot,
elle ne comprit pas tout de suite ce que lui voulait son cousin. Il colla ses
lèvres sur sa bouche, glissa ses mains sous la robe. Angèle le repoussa
brusquement en criant. Pierrot plaqua aussitôt sa main sur les lèvres de la
cousine pour l’empêcher d’appeler.
— Écoute-moi, petite garce, c’est la dernière
fois que je le dis. Ne cherche plus à me suivre.
Il ricana :
— Sauf si c’est parce que tu me veux.
Dans la nuit de l’étable, il tenait sa cousine par
la taille :
— Je sais que tu es amoureuse de moi.
Il colla une nouvelle fois sa bouche sur les lèvres
de la jeune fille, puis se sauva.
Angèle s’essuya la bouche du revers de la main. Elle
attendit quelques minutes avant de rejoindre la cuisine.
Marguerite reprisait des chaussettes au coin du feu.
Germaine, Louis et Georges parlaient de la guerre, assis à la grande table.
Jeanne se recoiffait devant le miroir au-dessus de l’évier. Erwan et Marcel
tiraient des fils d’acier sur des cadres de ruches. Angèle se glissa dans les
bras de sa mère.
— Qu’est-ce qui se passe, ma chérie, tu as
besoin de tendresse tout à coup ?
Angèle enfouit sa tête contre la poitrine de Jeanne
pour ne pas montrer son trouble. Sa mère caressa les cheveux blonds.
— Allez viens, on monte au lit.
Par la porte entrouverte de la chapelle, la lumière
dansante des bougies dévoilait le visage creux de Pierrot lorsque les femmes
traversèrent le couloir. Jeanne ne vit rien, Angèle jeta un coup d’œil, le
temps d’un frisson. À l’étage, toutes deux dormirent dans la même chambre.
Comme chaque soir de ce mois de janvier glacial, Jeanne déposa une brique
chaude dans les deux lits. Chacune se pelotonna sous un énorme édredon de
plumes. Jeanne s’endormit. Angèle, fébrile, imaginait Pierrot amoureux d’elle.
Mais quelle violence en cet homme ! Fallait-il succomber à ce charme cruel ?
Surement pas ! Il y avait Marcel et Georges, ses autres cousins, certes plus
âgés, mais tellement plus gentils. Et puis l’ainé, Louis, grand et costaud.
C’est vrai que tous les quatre étaient beaux, mais pourquoi fallait-il donc que
ce soit le plus méchant le plus entreprenant ? Elle s’endormit enfin, le froid
effleurant son visage découvert. Contre la vitre, les éclats de givre
dessinaient des petites étoiles blanches sous la clarté de la lune. Le ciel se
déchirait, demain serait une belle journée.
Le soleil brillait au cœur de l’hiver, et le chemin
de la ferme disparaissait sous les terres meringuées. Les gros sapins, peu
fiers, pliaient sous le poids de la neige et leurs branches, tels des membres
avachis, se courbaient, soumises, jusqu’à caresser le sol blanc. Louis et
Georges, avec l’aide de Volcan, le robuste Comtois, réussirent à tirer le
triangle jusqu’à l’intersection de la route de Levier le château. Faut dire que
l’autre cheval venait d’être réquisitionné par les Allemands. Ce jour-là,
lorsqu’une camionnette militaire se présenta à la ferme, le vieux Victor
s’était emporté. Il avait tellement tenu tête aux Allemands que ses petits-fils
avaient eu le temps de tirer Volcan hors de l’écurie et de contourner la ferme
pour le cacher dans le bois de Palentin.
L’après-midi, Victor prétexta une visite à son fils
Joseph à l’annexe du château pour monter sur le charriot tiré par Volcan, accompagnée
de sa petite-fille. En fait, il voulait juste vérifier les dires d’Angèle et
faire un tour à la cabane forestière. Depuis quelques semaines, le grand-père
retrouvait la forme et sa rechute de l’été n’était plus qu’un mauvais souvenir.
En passant sous le mur du parc du château, le chemin
n’était plus ouvert par le triangle. Alors Victor attacha le cheval au portail
du domaine. Angèle passa son bras sous le coude du grand-père et tous deux
s’aventurèrent péniblement dans la neige fraiche. Aucune trace devant eux,
Pierrot n’était donc pas à la cabane cet après-midi-là.
— C’est pas grave, dit Victor, on verra
toujours bien si la bicoque est habitée.
Et en effet, Diogène se tenait debout devant la
porte lorsque Victor et Angèle approchèrent de la maisonnette cachée sous les
sapins.
— C’est toi qui habites cette bicoque ?
interrogea aussitôt le grand-père.
Le jeune homme, le dos cassé, dévisagea la jeune
fille puis leva son regard vers le vieux.
— Bonjour, je m’appelle Diogène, enfin… on m’appelle
Diogène.
— Qu’est-ce que tu fais là ? Y a au moins
quinze ans qu’y a plus personne.
Diogène tendit le bras vers l’intérieur de la
cabane.
— Entrez au chaud.
Une seule pièce, chauffée par un poêle à bois collé
près du mur, donnait l’impression d’une grande place disponible, d’autant que
pour tout meuble trônaient une petite table de sapin, deux chaises de paille et
un simple lit d’angle. Un rayonnage était mal caché par un rideau coloré de
fleurs où les pétales fanaient sous la crasse.
Le jeune homme présenta les chaises pour laisser
s’installer le grand-père et Angèle. Quant à lui, il s’assit sur le bord du
lit.
— Vous venez du château, questionna Diogène.
— Ça te regarde pas, répondit brusquement le
vieux.
Il cracha sur le sol de terre battu et, de sa grosse
main ridée, il s’essuya la bouche et le nez.
— Dis-moi plutôt c’que tu fais là.
— Je suis d’un village du Nord et pendant la
débâcle un monsieur m’a dit de venir m’installer là jusqu’à la fin de la
guerre. Je n’ai plus de parents.
— C’est qui ce monsieur ? Ici c’est privé, et
la cabane appartient au comte.
— Justement, c’est en passant près d’un village
de Haute-Saône que ce monsieur m’a dit que le comte me protègerait et me
laisserait cette cabane désaffectée.
— Et tu vis de quoi gamin ?
— Je ne suis pas un gamin, je suis grand, j’ai
dix-sept ans. Je me débrouille seul pour me nourrir. Les bois et les prairies
du coin me donnent tout ce dont j’ai besoin.
— Je suis sûr que tu poses des collets,
chenapan !
Diogène fit la moue.
— Et pis c’est quoi ces histoires de fioles, de
drogues et toutes ces simagrées ?
Le jeune homme se souleva du lit puis tira le rideau
crasseux pour montrer ses récipients. Certains étaient vides, d’autres remplis
de liquides colorés.
— Je fais des expériences, je serai chimiste,
ou magnétiseur, ou radiesthésiste… quelque chose comme ça. Y a des paysans par
ici, si leurs bêtes tombent malades, je pourrai les soigner.
Angèle ne disait rien, buvait les paroles du jeune
homme en admirant son visage plein de finesse.
Diogène s’enthousiasmait. Il expliquait, montrait,
réexpliquait. Victor l’interrompit :
— Je comprends rien. Dis-moi plutôt ce que
vient faire ce garnement de Pierrot par ici.
— Vous le connaissez ?
— Ça te regarde pas.
— Il s’intéresse à mes expériences tout
simplement.
— Je veux pas qu’il revienne te voir, compris ?
Angèle baissait la tête. Elle avait pitié de ce
jeune garçon qui ne demandait peut-être qu’un peu de compagnies. Elle osa
intervenir :
— Grand-père, il a le droit d’avoir un ami.
Victor essaya de sourire à sa petite-fille puis se
tourna vers Diogène.
— Bon, tu fais ce que tu veux, mais je te
préviens, tourne pas mon petit-fils en bourrique, il n’a pas besoin de
mauvaises fréquentations. Allez, viens, Angèle, on s’en retourne avant la nuit.
*****
Ce matin de premier mai, Louis, Marcel et Angèle
couraient les escargots sous un ciel pluvieux. Cachée sous sa grosse veste
kaki, Angèle plaisantait avec Marcel et ils en oubliaient de ramasser les
mollusques. Louis ronchonna :
— Vos sacs sont vides, vous devriez avoir
honte. Maman ne va pas être contente. Elle compte sur nous pour les fêtes à
venir.
— Mais ton sac est bientôt plein, Louis, tu
compenseras.
— Non, mais, vous rigolez, allez… hop, on
s’amusera plus tard !
Alors qu’Angèle trainait ses bottes dans le pré
pendant que Louis et Marcel fouinaient le long d’un buisson, elle s’approcha de
ses cousins.
— Y a pas beaucoup d’escargots, hein.
Puis elle sourit à Marcel tout en lui chipant son
sac d’escargots.
— Mais qu’est-ce que tu fais Angèle ?
— Tiens, le voilà ton sac.
Mais la cousine lui rendit sa propre musette qui ne
contenait que quelques mollusques.
— Oh la chipie !
Et voici Angèle à courir dans l’herbe mouillée. Bien
sûr elle tomba à terre et Marcel qui la poursuivait dut la relever après une
petite tape amicale sur les fesses.
— Tu peux le garder mon sac. Je vais remplir le
tien et je suis sûr que j’en aurai ramassé plus que toi.
Angèle s’appliqua à chercher les escargots par jeu,
le sourire aux lèvres. Louis s’énervait de ces passe-temps, car les toiles de
jute ne s’emplissaient pas très vite. Mais était-ce bien là son véritable
souhait ou plutôt un brin de jalousie ? La cousine, à bientôt quatorze ans,
dévoilait toujours plus de charme.
Arrivé au bout du pré où les frênes tremblaient sous
la brise, Louis se pencha pour cueillir quelques brins de muguet et les offrit
à sa cousine. Elle respira le doux parfum puis embrassa le garçon en jetant un
coup d’œil malicieux vers Marcel. Elle s’empressa de compléter son bouquet en
se courbant à son tour sous les branches basses.
Vers midi, toute cette jeunesse s’en retourna à
l’Hermitage à travers la grande combe humide. Les gouttes de pluie
chatouillaient les visages. Flânant entre ses deux cousins, Angèle vivait de
bonheur et de liberté.
Lorsqu’ils approchèrent de la ferme, Germaine et
Jeanne tiraient de l’eau à la pompe de la fontaine. Victor trainait une
lessiveuse derrière lui. Il préparait la cellule des escargots, là où ils seraient
privés de nourriture, le temps de les purger.
— Des escargots à la persillade, hum, ça va
être bon ! s’exclama Louis en s’abritant sous l’auvent.
Germaine ronchonna :
— Pour sûr, j’aurai bien du persil et un peu
d’ail, mais du beurre, c’est une autre histoire.
— Les boches deviennent de plus en plus
exigeants, s’énerva Victor.
Jeanne frappa dans ses mains :
— C’est l’heure de la soupe et n’oubliez pas de
quitter vos bottes devant la porte de la cuisine, je viens de récurer.
*****
L’été succéda aux longs dimanches religieux du
printemps avec le retour de la fenaison, des moissons puis des regains. Pierrot
se cachait toujours au moment des travaux, mais Angèle et Victor connaissaient
le passetemps préféré de cet introverti. Les semaines précédentes, la cousine
avait surpris, sans se faire repérer, les allées et venues de Pierrot à la
cabane forestière. Les expériences et les étranges leçons se poursuivaient.
Victor se portait comme un vieux tilleul, noueux
certes, mais plein de vigueur. Il marchait toujours avec sa canne, mais le pas
était plus sûr. Pendant les foins, il se risqua même à remplacer sa fille
Germaine sur le siège de la faneuse, secouant fièrement la bride de Volcan. Et
dire que deux ans en arrière, l’intellectuel de la famille, Georges, préparait
l’épitaphe de son grand-père, et la fille ainée, Sœur Marie-Madeleine, restait
à genoux au pied du lit du mourant, se relevant quelques fois pour
s’agenouiller dans la chapelle. À l’époque, les lèvres de la religieuse
n’étaient que psaumes, les doigts restaient continuellement croisés et les yeux
se fermaient sur le noir de la mort. Aujourd’hui, Victor ressuscité,
Marie-Madeleine s’enfonçait dans ses prières pour remercier Dieu.
— Je vais bientôt retourner à Consolation,
dit-elle.
Le monastère de Notre-Dame de Consolation, isolé au
fond d’un val perdu près de la frontière suisse, avait hébergé Sœur
Marie-Madeleine dès l’âge de dix-huit ans. En 1938, lorsque Victor tomba
malade, elle demanda l’autorisation de quitter le couvent pour s’occuper de son
père à l’Hermitage. Elle pouvait ainsi poursuivre, quelque part, son œuvre de
charité et catéchiser toute la famille à la chapelle de la ferme. Mais
aujourd’hui que Victor allait mieux, elle envisageait sérieusement de repartir.
— Tu crois qu’c’est l’bon moment ? interrogea
sa mère.
Et Marguerite d’expliquer que l’occupant devenait
exigeant, que la vie était dure et que l’on avait besoin de tous les bras,
surtout depuis qu’Antonio avait quitté Germaine. Et puis Victor pouvait
rechuter d’un jour à l’autre. Et surtout, on avait besoin de prières par les
temps qui courent.
— Comme que comme, ajouta-t-elle, c’est pas la
peine de r’partir si loin, il y a une congrégation ici à Levier, tu devrais
t’renseigner.
Alors Sœur Marie-Madeleine sortit prendre l’air sur
le chemin de Bellecombe pour méditer sur les paroles sensées de sa mère, les
doigts croisés, la cornette sur la tête.
Erwan se plaisait à la ferme et les leçons de
français de sa professeure portaient ses fruits.
— Quoi on apprend aujourd’hui, jolie Angèle ?
— On dit : qu’est-ce que l’on apprend
aujourd’hui ? Pas « quoi ». Je sais… tu n’es pas à bonne école ici, parce que,
à la ferme, tout le monde parle mal. Il parait que c’est parce que l’on est paysan.
Mais avec toi, tu vois, je fais des efforts. Et puis à l’école, j’écoute bien
les leçons de français. J’aime Chateaubriand, Charles Péguy… Je voudrais
découvrir d’autres écrivains, mais les frères religieux ne veulent pas. Il
parait que les autres, ce sont des mauvais écrivains parce qu’ils critiquent
les gouvernements et même, des fois, les curés. C’est monsieur Tourel, mon
professeur de piano, qui me l’a dit.
Erwan, assis dans la paille à côté de sa maitresse,
reprit docilement :
— Qu’est-ce que l’on apprend aujourd’hui,
jolie, très jolie Angèle ?
Le bleu de ses yeux valait la caresse de ses mots.
La jeune fille rougit, baissa la tête tout en
chipant un brin de paille qu’elle porta à sa bouche, comme pour mâchouiller son
trouble.
Après un long silence, sourire aux lèvres, Erwan
insista :
— Ça va comme j’ai dit ?
— Oui, ça va.
Angèle déposa avec hardiesse un rapide baiser sur la
joue du jeune allemand et se sauva en courant.
*****
Lorsque les rallonges furent posées, la table
s’étira sur la moitié de la grande salle à manger. Au retour de la messe de la
Saint-Paul, Victor déboucha une bouteille de bon vin du Jura gardée pour
l’occasion, c’était son anniversaire. Ses quatre-vingt-deux ans se fêtèrent ce
dimanche-là, autour d’un repas d’exception. Il fallait oser un tel festin en
cette période de privation. Germaine donna des ordres en s’essuyant les
mains dans son tablier :
— Les enfants, asseyez-vous au bas de la table,
Joseph et Maria, en haut, les autres vous vous installez où vous voulez.
Puis elle posa sur la table un plat de pâté
agrémenté de cornichons, dressé sur une gelée maison. Tout en restant debout
près du banc des enfants, elle tailla dans la terrine avec son grand couteau et
servit une tranche de pâté à chacun des convives.
Marguerite et Victor avaient réuni tous leurs
enfants. Victor était en bout de table, Marie-Madeleine, à l’autre bout. Ce que
l’on appelait le haut de la table (pourtant le sol était parfaitement plat)
semblait être l’endroit le plus noble de la pièce, le bas visiblement réservé
au menu fretin. Les cousins se tenaient plutôt en bas, Jeanne et Marguerite en
haut, près de Joseph. Angèle se retrouva assise entre sa grand-mère et Pierrot.
— Heureusement que tu nous as fait une fille,
ma Jeannette, dit Victor tout en dévorant sa charcuterie, quand je vois toute
cette tablée, ça me rappelle que ma Germaine et mon Joseph, ils n’ont fait que
des garçons. T’aurais dû laisser faire une fille à la Germaine et toi, tu
m’aurais fait un garçon !
— Pourquoi tu dis ça, papa ?
— On ne dit pas « pourquoi tu dis ça », mais « pourquoi
dis-tu cela », m’man.
Et pan ! Une taloche sur la joue d’Angèle, puis
Marguerite compléta son geste de sa petite voix criarde :
— On cause pas comme ça à sa mère, les bonnes
manières, tu les gardes pour toi et ton école.
Jeanne tourna un regard bienveillant vers sa fille.
Angèle baissa la tête, rouge de honte devant ses cousins.
— M’man, ne sois pas si dur avec ma petite
Angèle, elle a cru bien faire.
— Alors toi aussi tu voudrais donner des conseils
aux anciens ?
— Excuse-moi, m’man.
— Y a pas si longtemps, ma Jeanne, les enfants
comme toi devaient nous vouvoyer.
Victor intervint pour réchauffer l’atmosphère :
— Tu m’as fait une jolie petite-fille, c’est
t’y pas vrai, ma Jeannette ?
Puis se tournant vers Angèle :
Hein qu’elle est belle, ma petite Angèle, je l’aime
bien ma petite Angèle !
— Y a beaucoup de monde qui l’aime bien la
petite Angèle, marmonna Pierrot, ses yeux noirs fixant ses grands frères. Seule
Angèle, assise près de lui, entendit la jalousie du cousin.
— Faites de la place, tonna Germaine en posant
la tôle brulante sur le dessous-de-plat.
Les coquilles d’escargots bouillonnaient, l’odeur de
la persillade emplissait les narines, le crépitement du beurre chaud donnait de
l’appétit jusqu’aux oreilles. Tout le monde se jeta sur les coquilles
brulantes. Les vieux, les jeunes, les gamins, tous les convives dégustèrent les
escargots dans un silence religieux. D’autres tôles pétillantes remplacèrent
les vides, puis d’autres encore.
Au retour de la cuisine, les grosses mains de
Germaine soutenaient un plat de champignons à la crème où flottaient les
morilles noires. Elle essuya ses mains dans son tablier puis reprit sa place à
table. En cherchant bien dans le plat, chacun put trouver une tranche de jambon
braisé sous la sauce crémeuse.
— Si les boches voyaient tout c’qu’on
s’empiffre, ironisa Joseph, ils nous confisqueraient tout.
— Peut-être bien qu’ils viendraient nous voler
nos derniers cochons, s’esclaffa Marcel.
Germaine servit la tarte à la rhubarbe. Comme il
restait une part de trop, Victor se l’appropria et la croqua à pleines dents.
— C’est toujours ça que les boches n’auront pas !
pouffa-t-il, les joues gonflées du bon dessert.
Les hommes riaient de bon cœur, les femmes gloussaient,
Jeannot et Paul avaient déjà quitté la table sans permission.
— T’as vu comme tu élèves tes gosses, Joseph ?
grommela Marguerite.
— Dites donc grand-père, vous avez énormément
mangé aujourd’hui, on dirait que votre estomac est guéri ! intervint Louis.
Victor se pencha sur sa chaise et tapa sur son
ventre de nouveau bedonnant.
— Eh oui, je vais bien, mon grand !
Il se tourna vers sa fille :
— Germaine, va nous chercher la goutte.
La bouteille passa de main en main, chacun versa la
gniole dans son verre, la mirabelle coula dans les petits verres à liqueur.
— Comme ça, je suis sûr de bien m’servir, se
justifia Victor.
S’ensuivit une bonne lampée au fond du gosier.
— C’est vrai que le papa va mieux, dit Jeanne
en souriant.
Le repas s’acheva dans la bonne humeur. Angèle,
depuis sa taloche, n’avait pas dit grand-chose à table. Les cousins avaient
échangé quelques plaisanteries, lorgnant de temps à autre vers la belle Angèle.
Elle se leva de table après avoir demandé la permission, soulevant sa chevelure
blonde de ses fines mains. Elle traversa l’écurie pour retrouver Erwan au fond
de la grange. Il fallait bien poursuivre les leçons de français.