Bonjour à tous,
En cette nouvelle année, je vous présente mes meilleurs vœux, beaucoup de
lecture, d’écriture peut-être, et de mille autres plaisirs de la vie.
N'hésitez pas à jeter une oeil sur mon site internet ou ma page Facebook
En ce qui me concerne, j’ai décidé d’attaquer 2024 tambour battant. J’envisage
de publier trois romans dans l’année. Facile ! puisque deux sont terminés en
écriture. Pour le troisième, j’ai commencé de rédiger le résumé la semaine
dernière et je suis en train de créer mes fiches personnage. D’ici quelques
jours j’écris le scénario et commence la rédaction proprement dite du roman
autour du 15 janvier prochain. Là, je pars m’isoler dans mon petit endroit
hivernal au bord de la mer et au pied des Pyrénées. Entre écriture, lecture et
balade en montagne avec Schnaps, je vais pouvoir me ressourcer, inutile donc de
méditer !
Les trois romans à venir pour 2024 :
« La jalousie des mots »… Romance à intrigues version LGBT (parution
au printemps)
« Belle et bonne »… Romance à intrigues, et non romance érotique
comme le titre pourrait le laisser croire !
En ce qui concerne ce troisième livre que je commence en ce moment, il s’agit
d’un conte fantastique. J’envisage d’ores et déjà plusieurs tomes pour cette
aventure peu ordinaire. Le premier tome que je rédige donc bientôt dans mon pied-à-terre
à Banyuls sera en principe publié avant les fêtes de fin d’année 2024. Je
n’ai pas encore le titre.
Je projette également de réaliser un calendrier de l’avent pour Noël 2024.
Une petite histoire pour enfant de 3 ou 400 mots, et ce, chaque jour de l’avant.
Je pense pouvoir écrire ces petits contes sans difficulté, par contre je suis
preneur si vous avez des idées pour la confection du calendrier.
Et comme promis, voici mon cadeau de Nouvel An : pour vous ci-dessous cette petite
romance poétique, laquelle figure dans mon recueil "des nouvelles de l’amour" qui
doit paraitre ce mois-ci chez BOD :
GUERANDE ET GOUTTELETTE
Une
goutte d’eau sort du ventre douillet d’un nuage gris sans un cri, cette vie
naissante était trop belle pour ne pas sourire. Un nouveau-né, dans les
douleurs de l’enfantement, pleure en découvrant le monde, présage des
souffrances de la vie, mais la goutte d’eau, elle, docile, sage, naturelle,
tombe du ciel, s’accroche à la feuille de l’arbre, puis glisse doucement sur la
nervure, s’étale enfin sur la terre nourricière, découvre sa famille et ses
amis, cette ribambelle de gouttes d’eau qui coure, comme elle, sur la terre
humide.
La goutte
d’eau s’écroule joyeusement dans le sillon, puis, emportée par le flot, gagne
le ruisseau, murmure entre cresson et boutons d’or. Serrée entre ses amies,
elle chante sur les galets, glousse à l’approche du torrent, saute avec joie
pour rebondir sur la roche, éclabousse de plaisir ses compagnes, et toujours
s’embrasser. Curieuse, encore plus vite et plus loin, elle tourbillonne enfin
dans cette belle rivière qu’on appelle la Vilaine.
C’est
maintenant l’immensité, l’espace humide et frais, déjà la vie d’adulte. Alors
elle se laisse porter vers ce monde inconnu, cherchant un cap, une ligne de vie
sans vraiment pouvoir choisir, et le courant l’entraîne sur une pente si douce
qu’on dirait qu’elle est plate. Et la goutte d’eau s’écoule et s’écoule
toujours à côté de ses sœurs qui s’écoulent et s’écoulent aussi, les unes dans
les autres, les unes sur les autres. L’eau va au gré du vent et du courant
comme si elle connaissait son chemin, mais une force supérieure l’entraîne vers
son destin.
Un
brusque coup de vent, et la goutte d’eau s’envole sur la berge de la Vilaine,
s’accroche à un œillet sauvage. Maintenant seule, elle se prélasse sous le ciel
gris de Bretagne. Un rayon de soleil surgit et la goutte d’eau se pare de bleu
et de brillance, sa rondeur s’étale sur le pétale.
Le vent
s’affole à nouveau et courbe l’œillet où la goutte d’eau ne peut se tenir. Elle
glisse dans la rivière, s’accroche à l’écaille d’une carpe qui nage tout près
de la berge. L’ombre d’une épuisette s’approche et emporte aussitôt poisson,
goutte d’eau et bien d’autres compagnes dans le seau du pêcheur. Ballotée dans
le récipient de plastique, elle finit dans le coffre d’une berline, dans le
noir et dans le doute. La route est longue et cahoteuse, la goutte d’eau saute,
sursaute, glisse le long du seau, retombe sur les poissons, rebondit encore et
encore, s’accroche enfin à la paroi de plastique.
La
berline s’arrête. Dans le grincement de la porte du coffre jaillit la lumière
du jour, l’odeur de la marée embaume l’habitacle. La grosse main du pêcheur
s’empare du seau puis l’homme part d’un bon pas le long des marais salants.
Mais le récipient ballote si fort que la goutte d’eau tombe sur le bas-côté
d’un bassin de cristallisation. Elle regarde s’éloigner les bottes, le seau et
ses compagnes toujours prisonnières. Autour d’elle, à perte de vue, ce sont des
bassins qu’on appelle des œillets. Pourtant ces œillets-là sont carrés, gris,
mathématiques, rien à voir avec la belle fleur étoffée, ivre, sensible. Sur le
bord de ces fleurs grises s’entassent des tas de grains gris.
— Eh !
tu es nouvelle ici, je ne t’ai jamais vu.
— Je
m’appelle Gouttelette. Et toi, qui es-tu ? Tu ressembles étrangement à tous ces
grains gris qui s’entassent à l’infini.
— Je
traîne ici, car le vent m’a poussé à quelques encablures de mes frères, ces
grains gris. Mais toi, Gouttelette, tu es seule aussi ?
— Oui.
— Tu
ne seras pas seule longtemps, regarde là dans ses morceaux d’étangs, il y a tes
amies, des milliards d’amies, mais vois-tu, elles sont toutes mariées, unies
pour la vie à leur compagnon grain de sel. Ces couples se fondent pour
l’éternité dans ses longues étendues d’eau, ces marais salants. C’est l’endroit
où tous mes frères et mes amis se marient.
— Moi
je suis célibataire, répondit-elle, j’attends la pluie, ce flot de demoiselles,
des amies qui me pousseront dans ces longues étendues d’eau, là où tes frères
m’attendent, là où je trouverai l’amour.
— Tout
près de là, c’est l’océan, et ce n’est pas des milliards, non, c’est beaucoup
plus, on ne peut pas compter, c’est trop, c’est un déluge d’amour, des mariages
qui n’en finissent pas, des bonheurs infinis, des divorces qui n’existent pas.
— Tu
sais, un jour prochain un coup de vent te poussera dans l’eau toute proche et
toi aussi tu épouseras ta goutte d’eau et tu trouveras le bonheur.
— Je
m’appelle Guérande. Il paraît que je suis d’une race précieuse, celle que l’on
met en sachet et que l’on dépose sur les étals des marchés de produits
régionaux. Alors je mourrai sous la langue d’un vulgaire gourmet sans avoir
seulement connu le bonheur d’embrasser une jolie demoiselle comme toi.
Guérande,
sous le soleil de juillet, montre sa terne brillance, se pare de sa rudesse de
mâle. Si près de Gouttelette, il ne fallait qu’une légère brise pour qu’il la
touche, alors tout à coup il croit en sa chance.
— Raconte-moi
ta jeunesse, Gouttelette.
— Je
suis née dans les monts de Bretagne, j’ai parcouru toute la Vilaine, j’ai connu
l’enfer de l’isolement sur le plastique d’un sceau poissonneux, et puis comme
par miracle je viens d’atterrir ici à deux pas de la cour des mariages.
— Dommage
que nous ne soyons pas comme les humains, que nous ne puissions nous déplacer
par nous-même, je pourrais m’approcher de toi et t’embrasser, tu es si belle.
— Les
humains ne savent pas la chance qu’ils ont. Si j’avais des jambes comme eux, je
me précipiterais à ta rencontre, et si j’avais des bras, je t’enlacerais. De
leurs jambes les humains courent nulle part et partout, de leurs bras ils ne
savent que travailler. Leurs lèvres embrassent si peu, elles préfèrent
critiquer, râler, calomnier. Leurs cerveaux trop complexes manquent de naturel,
c’est pour cela qu’ils passent à côté du bonheur.
— Demain
le temps va changer. Il fera beau et chaud, car ce soir le vent est doux et le
ciel est rose sur l’océan. Je crains pour toi Gouttelette parce qu’accrochée à
ce brin d’argile j’ai peur que tu ne sèches, que tu ne t’évapores à jamais vers
le ciel.
Un
paludier s’approche, poussant une brouette sur la mosaïque que forment les
bassins de cristallisation. Il pose sa brouette à quelques mètres de Guérande
et Gouttelette, s’apprêtant à étendre une lousse à la surface de l’eau. La
jeune goutte d’eau s’inquiète :
— Ne
crains-tu pas que cet instrument cherche à ramasser tes frères ainsi que toi ?
— Mais
non. Le paludier a pris sa lousse, c’est qu’il veut juste retirer la fleur de
sel à la surface de l’eau du marais. Les grains de sel comme moi, ça ne
l’intéresse pas aujourd’hui.
Mais le
paludier change d’avis, car le temps n’est pas suffisamment propice à la
cueillette de la fleur de sel. Alors il s’empare de son las et commence à
drainer le gros sel au fond du bassin et prépare un tas sur le côté.
— Tu
vois, tu vas te faire ramasser aussi !
— T’inquiètes,
je suis peinard, car je suis à l’écart sur le côté de ce sentier.
Le
paludier, muni de sa pelle, remplit sa brouette de gros sel, laissant
Guérande tranquille dans son coin. La brouette s’élance sur le sentier, mais
elle chavire, se redresse, descend sur le bas-côté tout proche. La roue écrase
le pauvre Guérande. Gouttelette s’affole, mais sans jambes, sans même pouvoir
tendre de bras, elle fixe de ses beaux yeux clairs et limpides son ami qui git
dans l’empreinte de la roue.
Alors que
la brouette s’éloigne, Gouttelette, désespérée, pleure Guérande, abandonné là à
côté d’elle dans son tombeau d’argile.
*****
Le
pêcheur, qui tout à l’heure promenait son seau de poissons, revient vers les
marais salants. De sa botte il pose le pied sur l’empreinte de la roue de
brouette, écrasant au passage le pauvre Guérande pourtant déjà enterré.
Gouttelette tout à côté est transportée par la botte. Mais quelle joie pour la
jeune goutte d’eau de constater la présence de Guérande à ses côtés ! De son
pas appuyé, le pêcheur avait laissé se fixer le grain de sel sous sa semelle.
Après un long trajet à pied où les deux amis s’accrochent désespérément à la
botte salutaire, le pêcheur parvient à sa maison située en bordure des marais.
Il se déchausse au sous-sol et pose ses bottes au pied de l’escalier, laissant
Gouttelette et Guérande dans le sombre et la saleté.
Les deux
amis passent la nuit à échanger sur leur sort. Que vont-ils devenir ? Guérande,
lui, s’en sortira certainement. Livré à lui-même, il restera peut-être encore
quelques jours sous cette botte terreuse, et le pêcheur retournera au bord de
l’eau et Guérande finira par retrouver l’humidité, une compagne goutte d’eau
dans la nature. Gouttelette reste triste, elle sait qu’elle va bien vite sécher
sur ce caoutchouc et s’évaporer, à moins que demain matin le pêcheur n’enfile
rapidement ses bottes et qu’ainsi elle accompagne Guérande et retrouve
suffisamment d’humidité pour ne pas mourir.
Mais au
petit matin la femme du pêcheur, balayant le sous-sol, secoue la paire de
bottes. Guérande roule sur le béton. Gouttelette se détache à son tour et
glisse jusqu’à presque toucher son ami Guérande. Deux taches sombres sur le
visage, des yeux noirs et amoureux regardent Gouttelette. Guérande tend ses
lèvres et dépose un délicat baiser sur le visage limpide de son amie.
Brusquement
un coup de balai pousse Guérande jusque sur le pas de la porte extérieure du
sous-sol restée ouverte tandis que Gouttelette roule jusqu’à une bouche
d’égout. Elle chemine dans le caniveau souterrain où elle retrouve
d’innombrables consœurs dégoulinantes de graisse, étouffant sous une écume
nauséabonde. Dégoûtée, elle mélange ses larmes à l’eau sale. Sa beauté devient
grisaille, elle finit sa course parmi la foule dans un bassin de station
d’épuration.
Comme
l’avait prévu Guérande, ce matin-là le ciel est bleu et le temps est doux. Il
avait juste oublié un détail, le vent se lève et souffle fort, si fort qu’il
pousse le grain de sel loin de l’entrée du sous-sol. Guérande s’envole de
l’autre côté de la route, puis une nouvelle rafale l’entraîne jusque vers les
marais. Une dernière bourrasque et il se cale entre ses frères sur un tas de
sel en bordure d’un œillet.
Durant
cette triste journée venteuse, Gouttelette cachée sous l’écume grise, flotte
sur l’eau sale et dans une ronde infernale elle tourbillonne d’un bassin à
l’autre. Elle s’arrête enfin près d’autres consœurs propres et brillantes. De
nouveau saine et odorante, elle se prépare à dériver vers une rivière pure,
vers l’océan, le mariage, la joie. Mais un homme, bottes blanches, veste et
pantalon clairs, s’approche du bassin, un flacon à la main. Il se penche en
bordure de bassin et recueille un peu d’eau. Gouttelette qui glisse là le long
du mur se laisse surprendre et rejoint le flacon avec quantité de ses sœurs.
L’homme aux bottes blanches s’engouffre dans un local proche, son bocal à la
main. Dans le laboratoire le biologiste s’empare d’un petit panier métallique
où se côtoient quelques éprouvettes. D’une main agile, il transvase l’eau
de son flacon dans les différents tubes à essai. Gouttelette se laisse guider,
accompagnée de ses amies. Bientôt un bouchon de plastique recouvre chaque
éprouvette. Alors que le biologiste dépose l’ensemble des éprouvettes dans son
panier métallique, Gouttelette prisonnière se faufile entre ces amies jusqu’en
bordure de la paroi de verre. Curieuse, elle guette la vie alentour, accompagne
son destin.
Quelle
bonne initiative que de vouloir coller son nez à la paroi de verre pour voir la
route, tout est joli autour d’elle ! Le casier métallique et ses éprouvettes
ayant été déposés sur la plage arrière d’une berline, elle peut ainsi admirer,
derrière l’autre vitre, la ville de Guérande. La voiture passe ainsi devant la
maison du pêcheur, Gouttelette jette un coup d’œil devant la porte du sous-sol.
Son chéri n’est plus là. Mon Dieu ! pourvu qu’on ne l’ait pas écrasé ! Derrière
la paroi de verre, elle regarde défiler les bassins des marais salants, les
œillets gris et le sel blanc. Mais au sommet d’un monceau de sel se détache un
grain parmi des millions d’autres. Ces deux grands yeux sombres, cette bouche
sensuelle, ces lèvres délicates qui ont osé un baiser sur sa joue l’autre jour,
oui c’est bien lui, c’est Guérande. Mais derrière cette double vitre a-t-il
seulement reconnu son amie qui s’en va loin de lui, s’en va vers une autre
vie.
La nuit
tombe sur les rues de Saint-Nazaire. La berline stationne devant l’entrée d’un
laboratoire d’analyses des eaux. Le chimiste s’empare du panier d’éprouvettes,
pousse une porte, longe un couloir, pousse une porte, dépose Gouttelette et ses
consœurs sur le plan de travail d’une pièce blanche. Dans le noir, Gouttelette
se laisse balloter, penche, se redresse, trouve enfin l’équilibre puis
s’assoupit à la surface de l’eau. Elle pense à Guérande resté là-bas dans le
froid des marais salants. Un coup de vent, une tempête et il échapperait à la
ramasse, se dit-elle, il éviterait ainsi la mise en paquet, être vendu sur un
étal de marché, esclave à qui l’on demanderait de se pavaner sur une estrade de
marchand avant de se laisser choisir par un acheteur aux goûts délicats, par un
maître sadique prêt à mordre, écraser, tuer. Ou alors, un coup de vent, une
tempête, et Guérande s’envoleraient jusqu’à un ruisseau salé au milieu des
marais, il épouserait sa goutte d’eau. Puis le couple dériverait vers l’océan,
l’immensité joyeuse. Sois heureux, Guérande !
Après ce
mélange de rêves et de cauchemars, Gouttelette s’éveille, surprise par la main
du chimiste qui s’empare de son éprouvette protectrice et verse le contenu dans
un pyrex. Gouttelette s’écoule dans le dangereux récipient et fixe avec horreur
l’allumette qui s’approche du brûleur. Bientôt les flammes bleues sautillent
sous le pyrex. Dedans ça chauffe, ça brûle, ça bout. Des milliers de gouttes
d’eau se tordent de douleur, hurlent. Les premières victimes s’élèvent vers le
ciel dans une danse aérienne, se dispersent dans un brouillard inconnu, mélange
d’ivresse et de crainte. Gouttelette, sous les brûlures de l’enfer, sursaute,
se déforme, rebondit sur les cadavres. Alors qu’il ne reste que quelques
gouttes d’eau dans le récipient, le chimiste coupe le brûleur. Perdue sur le
sol de verre, Gouttelette, tremblante, mais sauvée de l’enfer, regarde avec ses
yeux vitreux le chimiste qui besogne devant son plan de travail. Après quelques
minutes il s’approche du pyrex, s’en empare, le dépose dans une caissette avec
d’autres flacons, d’autres éprouvettes, d’autres verreries. Gouttelette
toujours meurtrie, ballotée dans le fond de son récipient, perdue parmi
quelques autres miraculées, se laisse glisser sur le verre, les yeux perdus
dans le noir du coffre de la berline.
*****
Après une
nuit de soupirs, Gouttelette perçoit le bruit de portes qui claquent, puis des
voix d’enfants enthousiastes, des parents qui rient et parlent de week-end. La
voiture démarre. Gouttelette comprend que la route sera longue. Vers midi la
berline s’arrête enfin. Une brise fraîche des monts d’Auvergne envahit le
coffre du véhicule lorsque la porte se soulève. Les parents s’empressent de
retirer le panier pique-nique posé là près de la caissette de verres.
— Papa,
maman ! on va cueillir des fleurs.
Par la
porte du coffre restée ouverte, Gouttelette voit deux fillettes s’évaporer dans
la nature à la recherche de légèreté et de couleur. L’une d’elles revient
bientôt près du coffre, s’empare du flacon de pyrex où repose Gouttelette.
— Regarde
ce que je viens de récupérer.
— C’est
quoi ?
Sa sœur
hausse les épaules.
— Tu
vois bien que c’est un vase pour mettre les marguerites, c’est maman qui va
être contente.
Les deux
enfants courent jusqu’au ruisseau tout proche. La fillette qui tient le pyrex
s’accroupit au bord de l’eau. Elle présente le flacon sous une cascade qui
coule à cet endroit, tel un vase sous un robinet. La gamine est fière de son
ingéniosité, mais la force du petit torrent emporte le vase qui se fracasse sur
une roche plus loin. Tandis que les fillettes s’en retournent toutes penaudes
vers les parents, Gouttelette savoure sa liberté dans la fraîcheur du ruisseau.
Au fil de l’eau, elle retrouve sa brillance et son éclat, saute sur les
cailloux, pétille sur les bords des marmites, rebondit sur les rochers, glisse
sur les galets, plonge avec les truites, invente le ballet des vaguelettes avec
ses amies, valse sur la piste cristalline d’un étang. Elle danse ainsi jusque
tard dans la nuit puis se pose sur une banquette d’ajoncs. Au petit matin, le
courant l’entraîne vers Amboise puis vers l’infini de la peinture océane, elle
croit même apercevoir le maître Léonard de Vinci qui flâne dans le parc du
château. Joyeuse, elle continue son chemin vers le bonheur, se faufile vers
l’eau étale d’un bras du fleuve puis s’assoupit dans le fond de la rivière.
Après un
séjour de plusieurs jours et plusieurs nuits au fond de l’eau, Gouttelette
perçoit tout à coup le bruit sourd d’un moteur, puis tout s’affole. Ses
millions, milliards d’amies autour d’elle sont happés par une force invisible.
À son tour, prise dans un tourbillon infernal, elle est projetée avec ses sœurs
jusqu’à une immense chambre noire. Plus d’ajoncs, d’œillets sauvages, de
verdure qui entourent l’eau, juste une énorme paroi de béton cylindrique.
Les
innombrables gouttes d’eau, silencieuses, patientent dans le noir et
l’angoisse. Gouttelette se morfond au milieu de ses compagnes avec l’étrange
sentiment qu’elle ne connaîtra jamais l’amour et le mariage dans l’océan
lointain. Après une journée de patience, Gouttelette sent un étrange mouvement
qui l’entraîne doucement dans les profondeurs de l’énorme puits. De descendre
toujours et encore elle s’enfonce dans un long entonnoir et parvient jusqu’à
l’extrémité du goulot où elle s’écrase contre une porte close. Tout à coup
l’ouverture devient ouverture. Emportée par le flot, Gouttelette gicle contre
la paroi d’une canalisation. Les infinies gouttes d’eau avancent, tantôt à vive
allure, s’arrêtent, tantôt au pas de l’escargot, repartent, on dirait un
embouteillage sur l’autoroute du soleil. Mais Gouttelette reste dans le noir et
la tristesse, serrée contre ses sœurs et ses amies. Le bouchon s’éternise, de
l’autoroute l’eau glisse sur des voies de plus en plus étroites. Gouttelette
chemine avec ses amies de longues heures dans le noir des artères de plastique
puis s’écrase finalement contre une paroi inox.
Brusquement
jaillit la lumière. Gouttelette est emportée hors du robinet et coule dans une
gourde transparente. Un homme tient le récipient dans sa main et visse un
bouchon à son extrémité. Gouttelette prisonnière passe de l’ombre à la lumière,
et curieuse de sa vie nouvelle, observe les lieux. La dame nettoie le plan de
travail de la cuisine, le mari se balade autour de la table. Il enfonce
finalement la gourde dans un grand sac à dos. Le retour à la lumière est bref,
et pour Gouttelette l’ombre va encore s’éterniser.
Ballotée
dans sa gourde, ballotée dans le sac à dos, ballotée dans le noir, Gouttelette
perçoit la fraîcheur du petit matin, le cri lointain des mouettes, imagine le
parfum salé de la marée. Elle se promène longtemps parmi ses amies dans la
gourde protectrice sur le dos du randonneur au pas cadencé. Midi, ouf ! le haut
du sac à dos se détache et Gouttelette aperçoit un coin de ciel bleu. L’homme
sort la gourde, dévisse le bouchon, et penchant la tête en arrière, s’envoie de
longues gorgées d’eau fraîche. Chahutée dans le fond du récipient, à la surface
de l’eau, se cognant aux parois, Gouttelette voit la mort rôder près des lèvres
du randonneur, fixe avec hantise son tombeau, cette bouche humaine qui boit la
vie. Mais Téthys, déesse de la mer, dieu hydraulique, ferme les lèvres de
l’homme alors que Gouttelette s’avançait vers sa sépulture. Elle s’effondre
alors dans le fond de la gourde avec ses amies rescapées. Elle observe la main
criminelle collée à la paroi du récipient qui, en un geste, pourrait l’envoyer
au fond de l’abîme. La mort rôde toujours puisque le randonneur se balade, sa
gourde à la main. Entre les gros doigts, elle observe la rue, là les remparts,
ici le café des marais, plus loin la maison des paludiers, elle reconnaît la
ville de Guérande pour l’avoir traversée l’autre jour dans la voiture du laborantin.
Le
randonneur, la gourde et Gouttelette traversent maintenant le grand marché. Des
vêtements, de la bouffe, des produits régionaux, des gens, du monde, que de
monde ! Entre deux badauds Gouttelette distingue un étal de produits locaux.
Assis derrière la vieille table, s’alanguit un vieux monsieur à l’air marin
avec sa casquette marine, dessus la vieille table s’assoupissent des sachets de
grains gris. Le cœur de Gouttelette sursaute lorsqu’elle reconnaît son chéri
Guérande, serré entre ses frères, collé contre le papier plissé de l’emballage.
Le randonneur s’avance vers la vieille table, cause au vieux monsieur, soulève
un sachet de sel, Guérande gémit, le randonneur repose le sachet, poursuit sa
route. Gouttelette appelle, crie, hurle. Les larmes dans l’eau, elle sait que
Guérande n’entend pas. Les yeux sombres du grain gris suivent la silhouette qui
s’en va au gré du pas du randonneur. Adieu Gouttelette, adieu Guérande, chacun
son chemin, chacun son destin. L’un sur les planches du marchand, l’une dans
son cachot transparent, les deux esclaves laissent vivre leur triste sort.
Le
randonneur, dans les méandres du marché, revient sur ces pas, il s’avance vers
la vieille table, cause au vieux monsieur, se penche sur la vieille table, paye
le vieux monsieur, s’en va avec son sachet de grains gris et Guérande aussi.
S’emmêlent aussitôt au fond du sac à dos, Guérande et ses frères, Gouttelette
et ses sœurs. Dans la nuit du sac, prisonniers du noir, derrière leurs parois
insensibles, Gouttelette et Guérande échangent des mots de bonheur, des mots
d’amour sans s’entendre, sans espérance. Ce sont juste deux chemins parallèles,
deux vies différentes, l’océan si près, si loin, une alliance improbable.
*****
Après
avoir encore marché longtemps l’homme arrive à la maison, vide son sac à dos,
pose le sachet de sel et la gourde sur le plan de cuisine. Le randonneur se
transforme rapidement en cuisinier, dresse une casserole sur la plaque de
cuisson. Une simple pression de l’index et la plaque rougit, la casserole
réclame des aliments. Le cuisinier vide ce qui reste du contenu de sa gourde
dans la cocotte déjà chaude, ajoute un peu de sel et Guérande rejoint sur le
feu son amie Gouttelette. Drôle de fusion, drôle de mélange, drôle de mariage !
L’instant d’un baiser brûlant, et Gouttelette et Guérande s’enlacent trop vite
dans la souffrance, une horrible souffrance, bientôt la mort. Oh non ! des
retrouvailles improbables et presque aussitôt une mort absurde, injuste. Deux
mariés devant l’autel échangent les alliances et l’église s’enflamme, la
famille agonise, les filles s’envolent dans les nuages, les garçons ne seront
bientôt que cadavres sur les pavés de la maison de Dieu.
— Mais
que fais-tu là mon pauvre mari ! on ne s’improvise pas cuisinier ainsi, on ne
balance pas de l’eau souillée de la gourde où tu as bavé pour cuire des pâtes, c’est
dégueu !
Dans la
foulée du reproche l’épouse jette l’eau salée dans l’évier. Guérande et
Gouttelette, brûlant de douleurs, tombent sur le froid de l’inox, s’engouffrent
dans le siphon, rebondissent le long d’une canalisation, glissent enfin
jusqu’au fleuve.
Après
cette brûlante cérémonie de mariage, le couple passe la nuit de noces dans la
fraîcheur des graviers de l’estuaire de la Loire. Le voyage de noces commence à
Saint-Nazaire, le couple embarque pour une aventure immortelle à la surface de
l’océan, entouré d’amoureux infinis. Guérande et Gouttelette, fusionnés dans
l’enfer, se fondent maintenant dans une félicité éternelle. Les larmes de
bonheur de Gouttelette se mélangent à l’eau de mer, Guérande s’évanouit de joie
et disparait dans les bras de son épouse. Ils se laissent entrainer ainsi par
le courant, la marée, le vent, et vogue la vie.
Après
plusieurs semaines à flotter en pleine mer sous le soleil, sous la pluie, sous
le vent, à plonger en compagnie des dauphins, des requins, de mille autres
poissons, en milieu de matinée Guérande et Gouttelette distinguent à l’horizon
les cheminées d’un paquebot. Les puissants moteurs poussent le bateau dans leur
direction, et le vent complice entraîne les deux amants vers le navire. En fin
de journée, alors que Gouttelette et Guérande sont à moins d’une encablure du
bateau surgit une baleine. L’impressionnant mouvement à la surface de l’océan
projette d’innombrables gouttes salées dans l’air. La plupart retombent à la
mer, certaines s’entassent sur le dos de la baleine, d’autres s’écrasent sur le
pont du navire. Le couple Gouttelette et Guérande s’effondre sur le plancher à
la proue du paquebot.
Le ciel
est bleu, le soleil brille, il fait chaud. Guérande et Gouttelette s’enlacent,
d’autres couples se prélassent auprès d’eux, marins et touristes vont et
viennent sur le plancher, leurs souliers frôlant les amants, écrasant d’autres
couples qui s’inclinent sans pleurer et se redressent derrière la chaussure du
marin, comme si la douleur du poids du pied sur leurs corps humides les
laissait indifférents. D’autres mariés sont emmenés par les semelles. Ils dégringolent
des escaliers et s’en vont croupir dans la cale ou s’endorment dans une cabine
de touristes.
Guérande
et Gouttelette, unis dans le même corps, humide d’amour, fixent le soleil trop
vif, craignent le pire. Il ne faudrait pas que l’astre endiablé jette trop
longtemps ses flammes infernales sur cet océan trop joyeux, ce pont trop sec,
ces amants trop anxieux jusqu’à laisser s’évaporer Gouttelette. Elle
rejoindrait alors l’atmosphère, l’éther, la mort, l’éternité, ne deviendrait
qu’une invisible parcelle d’un nuage d’atomes, laissant désemparé sur le pont
du paquebot le pauvre Guérande. Non, personne n’a le droit d’abréger une si
belle lune de miel, même pas Dieu !
L’océan
est calme, le bateau reste désespérément stable, laissant Guérande et
Gouttelette en plein soleil, même pas un léger tangage ou un maigre roulis qui
glisseraient les amants à l’ombre derrière une planche du bateau ou mieux, les
pousseraient vers un compartiment non étanche où ils retrouveraient l’humidité,
se noieraient dans une flaque quelconque pour mieux respirer, attendraient des
jours meilleurs, un jour d’orage, une lame de fond qui viendrait les chercher
pour les emmener à nouveau vers cette vie heureuse au milieu des flots
amoureux. Mais le méchant ciel bleu s’acharne au-dessus de leurs têtes, le
soleil nargue, poursuit son travail de sape. Gouttelette se meurt, Guérande
redessine doucement sa vie de célibataire. Les deux corps qui se confondaient
dans le bonheur depuis trop peu de temps se séparent irrémédiablement sous la
cruauté d’un ciel sans nuages et d’un soleil scélérat.
Vers midi
Guérande retrouve sa couleur grise, ses yeux noirs, son corps inerte, mais
vivant. Sa chérie s’envole sans un cri, sans une goutte de sanglots vers le
ciel bleu. Lors des jours heureux Guérande se servaient des larmes de
Gouttelette pour pleurer de joie dans leurs corps unis, maintenant ses yeux
secs regardent le soleil criminel, alors il prie le ciel pour que le pied d’un
marin écrase son corps cristallin, se disperse en mille morceaux, autant de
petits grains de lui qui continueraient de vivre sans lui. L’ombre d’un soulier
passe près de lui sans le toucher, Guérande regarde une nouvelle fois le ciel,
devine les atomes et Gouttelette. Ce soir il fera nuit, demain le soleil maudit
brillera, Guérande le verra encore plus infâme sans son amour à ses côtés.
Le grain de sel n’a pas envie de refaire sa vie et pourtant, un jour
l’orage viendra, l’emportera vers les flots contre son gré, mais il veut juste
mourir, rejoindre sa chérie.
Les jours
passent, le soleil s’acharne. Guérande, les yeux secs et tristes, espère
toujours la lourde chaussure du marin sur son corps. Ce sont les nuages qui
passent au-dessus de lui, ils cachent le ciel couleur bleu infâme, voile le
soleil jaune couleur des traîtres. La pluie, source de joie, tombe enfin. C’est
la revanche de la vie. Les atomes se sont réunis dans le ciel, ils ont discuté
entre eux, ils se sont unis. Alors des milliards et des milliards, et encore
des milliards de gouttes d’eau tombent dans l’océan, d’autres sur le pont du
paquebot, l’une s’accroche à Guérande, l’enlace, l’embrasse. Les atomes
viennent d’engendrer un nouveau rêve, ils ont réveillé Gouttelette.