mardi 16 avril 2024

DEDICACES SUR LE VIDE-GRENIER DE CHAMPAGNOLE

 

L'auteur Franc-comtois Jacky Coulet dédicace ses romans 

sur le vide-grenier de Champagnole le dimanche 28 avril 2024 

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Bonjour à tous,

Heureux de mon succès lors du récent vide-greniers de Malans où j’ai pu dédicacer de nombreux livres, je récidive ce dimanche 28 avril sur le vide-greniers de Champagnole.

A cette occasion je fais un peu de ménage dans ma bibliothèque et me débarrasse de quelques vieux bouquins.

Vous en profiterez pour découvrir mon tout dernier livre, un recueil de huit romances publié chez BOD .  Je vous attends nombreux sur mon emplacement derrière ALDI.

 

 Bonus : Voici une des huit romances que vous pouvez découvrir ci-dessous :

 

AMOUREUX D’UNE SILHOUETTE

 

 

Je grimpe cette côte d’Echevannes, bon sang que c’est dur ! Ces lacets qui n’en finissent pas, ce dénivelé qui me paraissait si simple au sortir du village de Vuillafans et qui devient maintenant trop raide en cette mi-côte. Et cette chaleur, c’est bon sang pas possible pour un mois de septembre ! Décidemment, ça s’réchauffe - la planète en surchauffe – où est passé le SAV, comme le chante si bien Suzane. Je dois pédaler presque toujours en danseuse, grave ! déjà qu’avec mon corps efféminé, mes jambes imberbes, mon visage de jeune vierge, ça doit pas arranger mon déhanché. Pourtant y a pas plus hétéro que moi, amoureux comme je suis de la belle Emeline. Tous mes admirateurs se fichent de moi, il me nomme le Poulidor régional, tu vas voir cette fois-ci, y s’ront bien obligés de m’appeler Vingegaard. Faut que je la gagne cette course, faut que j’épate tout le monde, surtout ma chérie Emeline. Mon entraineur, il dit que je gagne pas parce que je suis un garçon trop timide.

— Dans ta tête, tu ne penses pas « gagne », tu ne penses pas « gagne » parce que ta timidité maladive te dit « Non, t’as pas le droit de gagner, tu n’as pas le gabarit de la gagne, tu dois laisser les autres devant, les meilleurs que toi, ceux qui ont la carrure. Mais, bon Dieu ! toi aussi tu as la carrure, c’est juste dans ta tête que ça se passe. Si tu dis, je veux gagner, tu gagneras, alors tu peux te la faire, cette putain de « gagne ».

C’est comme ça qu’il m’a répondu à l’arrivée de notre dernière course cycliste à Pontarlier lorsque je me suis mis à chialer :

— Max, c’est bon sang pas possible ! aujourd’hui j’avais les jambes et je me suis encore fait battre au sprint.

C’est dans ta tête que ça se passe, qu’il me dit toujours, mais moi j’réponds que c’est d’abord dans les jambes. J’ai jamais vu qu’il fallait pédaler avec la tête. Mais bon ! peut-être qu’il a un peu raison. Là, dans quinze jours, avec cette course en boucle à Déservillers – Montmahoux – Gevresin, je vais passer dix fois devant elle, dix fois elle va m’applaudir. Et à l’arrivée, si je cours avec ma tête… et aussi mes jambes, je finirai premier. Ça, je te le jure, ma petite Emeline, cette course je te la dédie, elle est pour toi, elle est pour notre amour.

Faut qu’j’arrête de penser à elle, ça me couple le souffle, et je ne suis pas encore au sommet. Pourtant je suis bon grimpeur, faut que je me concentre, faut que j’accélère, je boirai tout mon saoul là-haut, reste plus qu’un kilomètre, ça va l’faire. Regarde pas le sommet, surveille juste le prochain virage devant toi. Faut te dire qu’il n’en reste plus que quatre, t’en a déjà fait les trois-quarts. C’est bien aussi de regarder en bas, ouah ! ce que j’ai déjà grimpé ! Les toits de Vuillafans, y sont déjà tout petits. Bon sang, que cette vallée est belle !

Ouf ! enfin arrivé au sommet. Après avoir posé un pied sur le goudron, je bois le reste de ma gourde puis je me prends en photo. Trempé de sueur, le visage rouge, mes yeux bleus seront encore plus beaux. Ce selfie, c’est pour montrer à Emeline dès que je lui aurai déclaré mon amour, elle va encore plus aimer le mec en pleine souffrance.

Je me décide à faire demi-tour, pas de boucle dans mon entrainement aujourd’hui. Il faut que je me tape la descente de cette célèbre montée d’Echevannes, là où chaque année en juillet, les coureurs automobiles rivalisent de prouesses en grimpant ces plus de quatre kilomètres et ces virages en épingle en guère plus de deux minutes. Quand je pense qu’il me faut vingt à vingt-cinq minutes avec ce vélo ! T’inquiète, v’là la descente, tu vas voir, ils feraient pas tant les malins avec leurs moteurs trop puissants, pas sûr qu’ils me suivraient ces merdeux de pilotes. Max, y me dit toujours que je suis le meilleur descendeur de tout le département. C’est vrai que j’ai pas peur des précipices, je me sens à l’aise sur mon vélo, je maitrise, je sais prendre les courbes, je sais rester prudent à l’entrée du virage pour mieux accélérer dès sa sortie. Je suis fier de mes descentes. Faut que je me teste encore une fois. Je vais me faire une de ces descentes… grave !

Je prends le vent, je suis bien dans cet air chaud qui me parait frais, les lacets sont agréables à franchir, je pédale comme un fou, grand plateau, super grand plateau et j’ai l’impression de forcer encore plus que dans la montée. Je regarde mon compteur, quatre-vingt kilomètres heure dans le sprint final à l’entrée des ruelles de Vuillafans. Calme ! calme-toi, Adam, ne prends plus de risque dans le village, c’est trop dangereux.

A la sortie de Vuillafans, je franchis le pont de La Loue et attaque la montée de Longeville, sept kilomètres, c’est de la rigolade, c’est moins pentu que la côte d’Echevannes, mais quand même, c’est long. M’en fou ! après je suis arrivé à la maison.

Je m’arrête à hauteur de Châteauvieux, parait-il le plus petit village de France, dix ou douze habitants. Ici, y doivent tous être conseillers municipaux, même les mioches ! Je rempli ma gourde à la fontaine naturelle devant les ruines du château et m’assis sur une grosse pierre.

Bon sang ! pourquoi faut-il encore que je pense à Emeline. Au lieu de toujours ruminer, tu f’rais mieux de lui causer, au moins tu connaitrais ses sentiments, mais non, faut que ta timidité soit la plus forte ! Attends dimanche dans quinze jours, quand je vais gagner, tu vas voir comme elle va courir pour m’embrasser, là, sûr, je lui dirai que je l’aime comme un fou. Presque mon âge, cette jolie gazelle. Son immense chevelure de couleur inconnue, entre la paille et la châtaigne, heureusement que je la vois comme spectatrice sur le bord de la route lors de mes courses, là, elle dénoue ses longs cheveux qui lui tombent sur les hanches. Là-bas, au boulot chez Perrin à Cléron, elle est différente, son grand chignon que j’entrevois lors des pauses ou lorsque l’on se croise dans les vestiaires, trop souvent caché sous ce bonnet de plastique blanc hygiène, montre une bouille fine et creuse, les racines noires et blondes tirées derrière ses petites oreilles. Comme j’ai envie de les mordiller, ces petites portugaises ! C’est vrai, c’est peut-être une jeune fille ibérique avec sa peau mate, ces cheveux venus d’ailleurs, aérés par le vent de l’Océan, ses grands yeux bleus qui regardent les vieilles rues de Lisbonne ou les côteaux de Porto, sa silhouette qui danse le long de La Ponta da Piedade aux bords des falaises, légère parmi les embruns, qu’on dirait qu’elle s’envole pour rejoindre les anges, son corps de rêve qui semble marcher sur l’eau à Cais Palafitico da Carrasqueira, élégante comme une sirène. Sûr qu’elle m’aime, ben oui, quoi ! l’autre jour à Dijon, quand j’ai fini deuxième de cette belle course régionale, qu’il manquait que l’épaisseur d’un boyau pour que je l’emporte au sprint, n’est-elle pas venu me féliciter ? ne m’a-telle pas flanqué un bisou sonore magistrale que je l’entends encore raisonner dans ma tête, dans mon cœur, comme une bombe qui éclate dans ma poitrine et dont tu gardes les éclats à jamais, comme une blessure de bonheur ?

Sous ce ciel bleu, la tête dans les nuages, je me relève enfin, enfourche ma bicyclette de courses, avale les kilomètres qui me sépare de Longeville à la vitesse des vrais professionnels. Il me faut un entrainement de dingue, faut que j’épate Emeline à Déservillers, faut que ce soit là-bas pour ce jour où l’on va s’embrasser, s’aimer.

Je descends de vélo devant la ferme des parents, rentre au frais dans ces murs de pierre, prends une douche, reviens dans le jardin avec juste un short sur moi. Je m’assieds à la table de terrasse, ma mère en face de moi qui écosse des haricots verts.

— J’ai comme l’idée que je vais la gagner cette course, maman.

Ma mère, mère au foyer, mère de deux enfants, mère sévère mais intègre, peu souriante, mais toujours souriante avec ses deux enfants, ma mère relève la tête et me regarde de ses yeux clairs :

— Ton père et moi, on a causé de toi, hier. Tu t’entraines comme un fou, tu adores ce sport. On s’est dit que si tu gagnes cette course qui se passe tout près de là, nous sommes prêts à t’acheter un vrai et beau vélo professionnel et l’on te paye ton inscription dans une grande équipe.

Je baisse la tête, murmure un merci du bout des lèvres. Je suis content, je dis encore un plus grand merci, un immense merci dans ma tête de grand malade timide, un vrai merci que je n’ose même pas prononcer devant ma mère si généreuse. C’est bien, ce cadeau promis, mais j’en attends un autre beaucoup plus riche, un cadeau qui durera tout une vie, le cadeau le plus beau que l’on puisse espérer. Rien ne remplace l’amour.

C’est encore le dimanche qui se prolonge, vivement demain lundi. Certes je me lèverai tôt, mais j’aime me lever tôt parce que je sais que c’est pour retrouver Emeline au travail.

 

A trois heure quinze du matin, Longeville – Cléron en vélo, ça ne me fait pas peur. Qu’est-ce que c’est que vingt kilomètres à bicyclette pour un pro comme moi ! Et en plus, ce n’est presque que de la descente pour rejoindre mon travail.

C’est encore la nuit lorsque je pose mon vélo sous le chêne où j’accroche l’antivol. Il est pile six heures, est-ce que Emeline est déjà au vestiaire ? Je ne vois pas sa Clio rouge, serait-elle en retard ? Ce n’est pas ces habitudes. Un accident ? Elle qui n’a son permis que depuis quelques semaines, et conduire la nuit, est-ce raisonnable pour une fille aussi fragile ?

Je me change vite fait, passe ma blouse blanche, enfile mon bonnet jetable qui ressemble à un sac de course pour midinette et retrouve le grand Serge qui a déjà lancé la machine tapis roulant. Me voila donc parti pour enfiler toute la matinée des bouts de fromage à raclette sous vide dans des cartons que je n’ai plus qu’à fermer, à empiler sur mon charriot, puis à pousser celui-ci plein de fromton jusqu’à l’embarquement.

— Comme d’hab, tu es dans la lune, Adam, rouspète le grand Serge.

Je lève le nez du tapis roulant, rougit, fixe mon collègue, et réussit à bafouiller :

— Qu’est-ce que j’ai fait ?

— Tu ne vois donc pas que ça n’avance pas, tu nous prépares un paquet de fromages qui va tout bourrer à la sortie de la machine. On est pas là pour s’amuser, y a du boulot, on a une grosse commande de Lidl qu’était pas prévue.

Je ne m’excuse pas, j’ai peur que ce soit mal interprété, je baisse le nez sur mon travail et j’accélère le mouvement.

Serge me guette en coin :

— T’es encore en train de penser à la belle Emeline, c’est ça ? Tu devrais pas. Ce n’est pas une fille pour toi. Je te l’ai déjà dit, laisse tomber. T’as pas vu qu’elle ne te regarde même pas.

Je relève la tête, me décide :

— Elle n’est pas à son travail aujourd’hui ?

— Ben non ! Tu n’as pas regardé le planning comme il faut vendredi soir, sinon t’aurais vu qu’elle travaille d’après-midi aujourd’hui.

Je baisse à nouveau la tête sur mes bouts de raclette. Tiens, maintenant, c’est du morbier. Faut que je fasse gaffe à bien changer de cartons. Et puis, je sui vraiment nul, pas avoir lu comme il faut le planning, j’étais pourtant persuadé qu’elle avait les mêmes horaires que moi. C’est bien ça, l’amour rend aveugle, j’ai tout interprété de travers. Je voulais tellement qu’elle ait les mêmes horaires que moi, alors j’ai lu les mêmes horaires. En même temps, ça n’aurait pas changé grand-chose, je me serais levé à deux heures et demi du mat quand même, je serais venu au boulot de bonne humeur. Rien que de rentrer dans les murs de cette entreprise, je me sens bien. J’ai chaque fois ce petit sursaut au cœur lorsque je franchis la porte, je suis comme les chiens de sang qui reniflent le gibier plusieurs jours après leur passage, je respire partout dans l’usine le parfum sauvage d’Emeline, l’odeur agréable de mon futur trophée, de ma docile proie, pas besoin de la traquer, elle se laissera caresser, elle saura que le gentil chasseur est bien inoffensif, et surtout très amoureux. A défaut, j’espère juste la croiser au vestiaire à midi, lorsqu’elle prendra la relève. Surtout si elle me relaie sur la même ligne de production, comme ça je pourrai lui passer les consignes, j’oserai lui parler, je lui dirai des choses comme : on… on a fait trois charriots, faut que votre équipe en face au moins encore trois, mais aussi je lui dirai : tu, tu… non rien… je te souhaite bon courage. Oh ! tu crois que je vais oser lui dire : je te souhaite bon courage. Grave ! c’est pas gagné. En même temps, je sais que ce sera le grand Serge qui lui passera les consignes.

Et midi arrive, et je la croise dans le vestiaire, je la salue d’un sourire timide, lui tend la main, n’ose pas lui faire la bise, elle tend la sienne avec négligence, je sui déçu, bien fait pour moi. Sûr, elle attendait une bise de ma part. C’est bien au mec de faire le premier pas, non ? Quoique maintenant, les filles, elles savent se faire comprendre, pas besoin d’un long dessin avec une flèche dans le coin inférieur droit, laquelle indique la direction de leur lit. C’est ce qu’il m’est arrivé au lycée y a trois ans. Une jolie nana, Julie qu’elle s’appelait, elle savait que je la lorgnais bêtement, un jour elle m’a filé un dessin par WhatsApp : un garçon, une fille, chacun dans son coin de cour, appuyés contre le mur, une bulle de paroles à la bouche de la lycéenne : « Puisque tu n'es pas décidé à m’inviter, c’est moi qui ose le premier pas ». Une flèche en bas du dessin, et page suivante : un lit dont la couette est entrouverte et une bulle de paroles à la bouche du lit « rendez-vous dans mes draps ». Bien entendu, je n’ai pas donné suite. 

— Eh ! encore dans la lune. Arrête de rêver, ça bourre en bout de chaine.

Midi. Je la croise dans le vestiaire. Ses cheveux tombent sur ses hanches. Elle fait face à son casier entrouvert, elle me tourne le dos. Elle relève sa chevelure avec la grâce d’une sirène qui ne craint pas le pêcheur. On dirait une chorégraphie amoureuse rien que pour moi, elle va se retourner, se déhancher, me sourire. Entre ses bras ouverts, les seins danseront aussi, une langueur dans les hanches m’apportera le rouge au visage. Si je lui dis bonjour maintenant, je vais tout gâcher, elle va se retourner brusquement pour me répondre, fini la danse langoureuse.  Je lui dis bonjour quand-même, c’est plus poli, et puis je sais quelle cache sa timidité en regardant le rayonnage de son casier tout en tripotant son chignon qui se forme sous ses doigts fins, ses doigts qui m’inspirent la chair de l’amour, ses grands et petits doigts qui caressent ses cheveux, qui caressent mes sens, qui entretiennent mon embarras. Elle ne se retourne pas, elle dit :

— Bonjour Adam, ça va ? Y a des consignes ?

— Oui, ben… euh… Serge va te les donner. Au revoir, à demain.

Elle ne s’est toujours pas retournée, Je franchis la porte. Je remonte sur mon vélo, la voix d’Emeline encore dans mes oreilles.

L’après-midi ma bicyclette m’entraine dans la côte d’Evillers, dans la grimpée de Sombacour, dans la forêt de sapins de Levier, à travers les pâturages de Septfontaines, les haies, les buissons et les prairies d’Amathay. Demain je reverrai Emeline, j’ai regardé le planning, elle a les mêmes horaires que moi, je travaille d’après-midi tout comme elle. Ainsi demain matin je ferai encore un peu d’entrainement dans la vallée de La Loue et je me rendrai à mon travail en passant par Scey en Varais. Comme ça, je serai sur le chemin de son travail, elle va me suivre avec sa Clio, me voir sur mon vélo, elle va regarder mon dos, apprécier mes jambes rasées, mon pédalé de sportif viril. Elle va me doubler, elle va me sourire, puis je me mettrai en danseuse dans le village de Cléron pour essayer de la suivre, on arrivera en même temps au boulot juste pour midi.

Je reconnais le ronronnement de la Clio dans mon dos, elle hésite à me doubler, on traverse Cléron, moi je crois qu’elle le fait exprès, elle ne me dépasse pas, pourtant là, après le pont, elle peut me doubler, non, elle préfère me mater.

Elle me double, ne me sourit pas, je me dresse en danseuse, elle accélère, mais je ne peux pas la suivre malgré mes puissants mollets.  J’arrive à l’usine, elle ne m’a pas attendu. Elle est en train de relever ses magnifiques cheveux sur le sommet de sa tête, elle regarde son casier, je lui dis bonjour, elle me répond bonjour, ne se retourne pas, passe son bonnet façon hygiène, elle est toujours aussi belle, même avec un bout de plastique sur la tête.

J’ai travaillé sur ma chaine de production tout l’après-midi, mais Emeline bossait à l’étage au-dessus, même pas pu lui dire que j’allais courir à Déservillers dans treize jours. Pas grave, elle connait certainement le calendrier de toutes les courses régionales, elle n’en rate aucune, cette amoureuse du tour de France et de toutes les courses cyclistes, amoureuse du look des cyclistes, de leur panache, amoureuse de leurs sueurs qui dégoulinent sur leurs joues, les perles translucides sur leurs fronts, les lèvres grimaçantes et les langues pendantes dans l’effort.

— Viens me voir courir à Déservillers, je gagnerai la course, je la gagnerai pour toi, viens me voir, je t’aime.

Je l’ai murmuré tellement fort entre deux cartons de fromton que le grand Serge s’en mêle.

— Qu’est-ce que tu dis ? Tu parles à Emeline ou à moi ? me répond-il d’un sourire ironique.

Je rougis, la tête dans le carton.

Pendant qu’il me cause, je devrais en profiter pour lui demander qu’il voie avec le responsable pour que j’aie le même planning qu’Emeline la semaine prochaine. Mais je n’ose pas, d’ailleurs il me dirait : « va donc lui demander toi-même », et il aurait raison.

 

Coup de bol, j’ai regardé l’agenda rédigé par le responsable le lendemain soir, Emeline et moi, nous gardons les mêmes horaires tout au long de la semaine prochaine, nickel ! Mais y a un blème, elle ne travaillera pas avec moi sur ma chaine de production. J’aurai juste l’occasion de la croiser de temps à autre dans le vestiaire. Deux minutes à se voir, je m’connais, je n’aurai pas le temps de me lancer dans une discussion, genre complimenterie. 

Et tout se passa comme prévu tout au long du reste de la présente semaine, juste un bonjour, un coup d’œil en coin entre deux casiers dans le vestiaire. J’ai croisé quelques autres collègues, des sympas sûrement, je sais pas, je cause pas avec eux, j’ai rencontré une fois Sofiya, genre Ukrainienne exilée par la guerre, enfin, c’est ce que m’a dit le grand Serge. Je n’aime pas mon boulot mais j’aime Emeline, alors je reviendrai la semaine prochaine, nous sommes tous les deux du matin. Pourvu qu’elle soit sur la même chaine de production que moi.

 

Après un entrainement intensif durant tout le week-end, je me retrouve au boulot à midi à la fromagerie Perrin à Cléron. Alors que je range mon vélo dans la cour, je me retourne au son du moteur. Un bruit agréable, familier, unique, je le reconnais entre mille, j’ai l’oreille d’un chien qui pense à son maître à chaque seconde de sa vie. 

Elle descend de sa Clio, elle me sourit, elle m’aime. Je lui souris, je l’aime, aussi je suis poli. Je rougi, pas parce que je suis poli, mais parce que je l’aime et j’ai peur qu’elle le comprenne. C’est grave, docteur ? Non, c’est pas grave puisque je vais lui déclarer mon amour dimanche après ma victoire lorsqu’elle viendra me féliciter.

Après nous être changés dans le vestiaire, je monte l’escalier pour rejoindre la chaine de production, je la sens dans mon dos, j’ai l’air con avec mon plastique sur la tête, on ne voit même plus mes courts cheveux blonds qui montrent tout mon charme. Je me retourne dans le couloir de l’étage, elle me suit toujours, elle n’a pas l’air con avec son plastique sur la tête, au contraire, ça l’embellit, un mannequin s’habille avec un rien, toute nouveauté la rend plus élégante, on dirait une étrangère de quatrième dimension qui joue l’héroïne dans une comédie sentimentale avec Brad Pitt. Mais… mais ! elle me suit. Yes ! elle travaille sur le même atelier que moi.

Le grand Serge est déjà là. Il donne les consignes. Emeline est presque en face de moi sur la ligne de production, elle empile les fromages dans les cartons, tout comme moi, elle lève de temps à autre ses magnifiques yeux bleus vers moi, elle m’aime. J’évite son regard divinement machiavélique, je baisse souvent les yeux, je vois son visage sur l’emballage translucide, entre les mots L’éden et Cléron, je vois le visage d’Emeline dans le jardin d’Eden et son ange qui vole au-dessus d’elle au son du Cléron. Lorsque je ferme le carton au gros scotch marron j’ai l’impression d’emprisonner ma chérie dans ma chambre noire. Le doux bruit du scotch qui se colle au carton, on dirait le bruit de la culotte qui se déchire tellement je m’empresse de lui faire l’amour.

Je relève la tête, elle me regarde sans sourire, je la vois nue dans son pantalon de toile, sa blouse un peu sale, son plastique sur ses cheveux. Je l’aime… je lui tends les bras, je soulève son carton, le pose à côté du mien. Le charriot est plein, je l’emmène en salle d’embarquement.

A chaque heure de chaque jour de la semaine je lui fais l’amour dans le carton, chaque fois elle déchire sa culotte dans un bruit de scratch. Mais c’est au cours de cette semaine que j’ai, par un bel après-midi où nous ne pouvions voir le soleil, toucher ses doigts blancs, grands, longs, ils étaient froids. Je ne l’ai pas fait exprès, c’est parce que nos cartons se frôlaient et que j’ai voulu déplacer le mien, de son côté, elle n’a rien fait pour le retirer, elle le tenait fermement, mais je suis certain qu’elle l’a fait volontairement, elle voulait sentir ma peau, elle m’aime. Je me suis excusé d’avoir effleuré sa main. Tout ragaillardi de cette douce sensualité, je me sui permis de causer devant elle à la pause de l’après-midi. Nous étions tous trois assis autour de la table à grignoter des biscuits devant notre tasse de café. Je me lance :

— Je sais que tu n’es pas fan, Serge, mais si tu veux et si tu peux, viens me voir à la course cycliste à Déservillers ce dimanche. Je m’entraine depuis plus de deux mois, et cette-fois ci je joue la gagne.

Serge me répondit d’une voix trop forte, de quoi me faire rougir :

— Tu sais, moi, le cyclisme, c’est pas mon truc, en fait le sport c’est pas pour moi. Si toutefois nous n’avons rien de prévu et que ma femme et partante, pourquoi pas, mais n’y compte pas trop.

Il tourna la tête vers Emeline et poursuivit :

— Emeline, elle, je suis certain qu’elle est partante, n’est-ce pas Emeline ?

Elle jeta un regard mi-souriant vers moi.

— Je n’ai encore rien décidé, mais comme j’aime le cyclisme, possible que j’y sois.

Tu parles, sûr qu’elle y sera, elle rate aucune course, elle est comme moi, elle cache ses sentiments, c’est d’ailleurs pourquoi nous serions si bien ensemble. Aussi parce qu’elle est bandante.

J’avais posé cette question indirecte vers Serge au profit d’Emeline parce que je voulais qu’elle sache avec certitude que je serais bien présent pour cette épreuve. Elle dit que c’est parce qu’elle aime le cyclisme qu’elle se déplace à chaque course, tu parles ! c’est parce qu’elle m’aime, voilà tout.

 

 

*****

 

 

Nous sommes le dernier dimanche de septembre, c’est le jour J, cette belle épreuve cycliste d’une boucle d’une dizaine de kilomètres, dix tours de prévus, la côte de Montmahoux, la descente de Deservillers, un directeur technique d’AG2R LA MONDIALE présent, ce pourrait bien être avec cette équipe que je signerai si j’emporte cette course, ouah !

Que de monde sous ce franc soleil, cette légère brise qui empêchera les bordures, cette douceur qui permet de ne pas trop galérer dans les grimpettes, même une fanfare encourage les sportifs avec tout plein d’instruments à vent et tambours et baguettes sur la ligne d’arrivé en haut de Montmahoux. C’est sûrement là qu’elle s’est placée pour me regarder, pour venir m’applaudir dès que j’aurai gagné. Un pied dans le cale-pied, l’autre sur le goudron, je suis planqué au milieu du peloton, prêt pour le signal du départ. Je zieute à droite, à gauche par-dessus les têtes de mes concurrents. Je ne vois que des casques, je ne repère pas Emeline dans sa belle robe colorée du dimanche, embellie de ses immenses cheveux qui tombes sur ses hanches. Pas grave, elle est là, c’est sûr.  

Au bruit des trompettes, des trombones, des tam-tams, des timbales et de la grosse caisse, sous le regard des majorettes coiffées de casquettes jaunes, le peloton s’élance en dansant, mollement puis plus prestement. A l’ombre des premiers sapins le peloton s’étire, au deuxième tour quelques attardés déjà, dès le troisième tour je me hisse en tête du groupe, je veux passer la ligne le premier devant Emeline. Je la cherche des yeux tout en pédalant à fond pour ne pas me laisser dépasser, je ne l’ai toujours pas repérée. Au quatrième tour le peloton s’est scindé en deux, j’ai failli me laisser surprendre, mais par un effort sur près d’un kilomètre je réintègre le groupe de tête, ouf ! Je suis à l’avant du groupe lors de la descente de Déservillers, c’est ma spécialité, c’est là où je suis le meilleur, aucun gars du peloton ne peut me suivre, je prends deux cent mètres d’avance en peu de temps, et en bas de la descente dans le virage à angle droit qui tourne à gauche, j’ai le temps de pencher la tête pour remarquer la silhouette d’Emeline là, sur ma droite, elle me regarde, elle applaudit, je n’ai pas le temps de sourire, je suis déjà dans l’accélération à la sortie du virage et en danseuse. A cet instant, je me dis que je peux poursuivre seul en tête. Non, c’est une erreur, me signale mon coach qui me suit dans sa belle Simca rouge des années 70. Il a raison, il faut être patient, savoir se ménager bien que je sois survolté.

Alors que je suis encore le seul échappé en traversant le bois entre Déservillers et Montmahoux, je cogite, je me demande pourquoi Emeline n’est pas sur la ligne d’arrivée à Montmahoux, pourquoi reste-elle en bas de Déservillers, peut-être sait-elle que je suis excellent descendeur, oui, c’est ça, elle veut m’admirer dans toute ma splendeur, scruter mon corps de sportif le nez dans le guidon, le derrière relevé, les jambes qui moulinent dans la descente, la cuisse qui s’écarte pour un meilleur aérodynamisme dans les virages, c’est pour cela qu’elle s’est placé là où la descente est la plus rapide, là où se présente le virage le plus dangereux. Ah, faut-il qu’elle m’aime pour chercher la contemplation idéale de son sportif adoré !

Arrête de penser, de rêver, Adam, voilà le groupe de poursuivant qui te rattrape, qui te dépasse, t’es obligé de t’accrocher et de te remettre en danseuse pour recoller au groupe de tête. Concentre-toi, pense au bonheur de la victoire, à Emeline qui se précipitera à ta rencontre sur la ligne d’arrivée lorsqu’elle entendra la voix du journaliste de FM Village qui commentera en direct le sprint final avec la victoire de Adam Marquet, voire même la victoire après l’échappée solitaire de Adam Marquet.  

En haut de la côte dans le village de Montmahoux, je fais un effort magistral pour prendre une longueur d’avance sur l’ensemble de mes équipiers afin de m’imposer sur la ligne d’arrivée de ce cinquième tour. Le speaker de FM Village hurle au micro :

— Adam Marquet vient de sortir du groupe de tête dans les derniers mètres de l’ascension et passe en tête au sommet devant ses poursuivants. Il semble à l’aise, les mollets poussent sur les pédales, le souffle est régulier, c’est un sérieux candidat pour la victoire.

Ah que c’est beau d’entendre tous ces éloges lors de mon passage sur la ligne à la fin de ce cinquième tour. Mon manager depuis sa Simca rouge me demande de ménager mes forces, de rester dans le groupe, que j’aurai tout le temps d’attaquer dans le dernier tour. Oui mais moi, je veux épater Emeline tout au long de la course, je veux l’exciter, la faire baver, qu’elle frissonne avec moi, qu’elle frétille de joie lorsqu’ elle entendra mon nom sur les ondes de FM Village depuis son portable en bas de la descente de Déservillers, qu’elle se désespère lors d’un coup de mou de son cycliste préféré, qu’elle danse de plaisir quand je réussirai mon échappée, qu’elle tremble avec moi lorsque l’on comptera ensemble les secondes qui me séparerons des poursuivants, ce sera un peu comme les préliminaires avant l’assaut final, l’assaut victorieux.

Il ne reste plus qu’un tour et demi et je n’ai pas revu Emeline en bas de la côte de Déservillers. Est-elle cachée parmi la foule ? A-t-elle décidé de rejoindre Montmahoux et la ligne d’arrivée pour être la première à me féliciter ? Ah, elle cache bien son jeu, celle-ci ! C’est la même qu’au boulot, elle fait semblant de me négliger, m’épie pourtant à chaque coin de porte, à chaque détour de talus. Pas grave… on saura s’aimer devant tout le monde dès que je recevrai le bouquet du vainqueur, Emeline à mes côtés. Tiens, mes parents sont là sur la ligne d’arrivée ! il a fallu attendre la fin du neuvième tour pour que je les remarque. Peut-être qu’Emeline est avec eux, derrière eux puisque je ne la vois pas.

Bon ! cette fois-ci c’est du sérieux, nous sommes entrés dans le dixième tour, mon coach m’a donné carte blanche pour attaquer quand bon me semblerait dans ce dernier tour. Il reste moins de douze kilomètres et j’ai déjà plus de cent-dix bornes dans les jambes. Je me sens bien, mon souffle, mes mollets, tout roule, et comme parait-il, il faut aussi courir avec la tête, j’ai décidé de ne plus penser, même pas à Emeline, me concentrer uniquement sur la victoire, mais aussi je réfléchis à ma tactique. Je fausserai compagnie à mes huit compagnons qui sont encore là autour de moi, et qui commencent à se regarder en chien de faïence, dès le haut de la descente de Déservillers. Il ne restera que six kilomètres avant l’arrivée, c’est jouable si je prends trente secondes dans la descente, puis je maintiendrai mon avance dans le bois après le village, je jouerai un véritable contre la montre dans les derniers kilomètres, et comme je ne suis pas mauvais grimpeur, je ferai le forcing dans la montée de Montmahoux.

Ça y est, nous y sommes, voilà l’instant où tout se décide. Comme je sais que mes compagnons de route se doutent de mon échappée dans la prochaine descente, pour les surprendre je décide d’accélérer et de lancer mon effort cinq cent mètres avant le premier lacet de dénivelé. Ma surprise fait mouche, les gars se regardent. Trop tard ! me voilà dans le début de la descente avec cent cinquante mètres d’avance. Je vois d’ici les spectateurs sur la ligne d’arrivée, les autres dans le village de Déservillers, avec leurs visages rouge de joie à écouter le speaker de FM Village.

— Au kilomètre 114, en haut de la descente de Déservillers, Adam Marquet vient de lancer une attaque foudroyante, le voilà seul dans la descente, il fonce dans les lacets, passe tout près de notre antenne FM Village à une allure folle, laissant dans le vent ses compagnons de route. Il reste six kilomètres, tiendra-t-il la distance ? oui… c’est faisable.

Quelque dix mètres avant le virage dangereux qui tourne sur la gauche en bas de la descente, je distingue… j’entrevois… c’est elle, c’est sa silhouette, sa robe bleu ciel qui recouvre des hanches harmonieuses, ses longs cheveux dénoués, son visage angélique, son sourire, elle applaudit, je suis plein de vie, heureux, j’amorce le virage devant elle à fond les godilles, la roue arrière dérape, je tombe la tête la première, le casque éclate, le noir…

 

 

*****

 

 

Le noir, le noir, le noir, toujours le noir, encore le noir.

Juste des sanglots à peine retenus, des murmures, je ne comprends rien, j’entends, j’entends mal, mais j’entends. J’écoute, j’écoute bien, mais j’entends toujours mal. Le noir.

J’oublie, je dors, Emeline, ma course, ses longues jambes, le noir, je dors, tout s’embrouille, je ne dors pas, j’entends, le noir. Une robe colorée, la couleur ? Je ne sais plus, noire peut-être ? Le noir, je dors.

Combien de temps ? Je ne sais pas, mais c’est la voix de ma mère. J’entends mal, approche-toi donc, maman, je ne reconnais que des murmures, j’ai mal, j’ai mal je sais pas où, la tête peut-être, les bras ? le bassin ? ma main, laquelle ? la gauche, l’autre, encore une autre peut-être. J’ai combien de mains ? aucune, ou plein de mains ? Mes pieds, ce sont mes mains peut-être. Cette lourdeur, là et partout, je vole, je sommeille, je gonfle, me dégonfle, j’ai mal, maman ! le noir. La voix de papa. Ah ! il parle fort.

— J’ai bien peur qu’il ne sorte plus jamais de son coma.

— Chut ! oin or.

Parle plus fort, maman, j’entends à peine tes murmures.

Plus rien ou presque, juste une chair humide qui frôle mon front. Le noir. Je dors, je dors longtemps ? ch’ai pas.

Du bruit dans le couloir, on soulève ma main, ça fait à peine mal, une piqûre ? Une chaleur tiède, plus froide que mon front, qui touche mon front. Le noir. Une porte qui s’ouvre ou se ferme, elle ne grince pas, juste le frémissement de l’air différent, l’odeur des cuisines toute proche. J’ai même pas faim, pourtant ça sent bon. Le parfum de la blanquette embaume mes narines, la porte a dû rester ouverte. Le noir. J’entends les assiettes qui s’entrechoquent, les pas des aides-soignantes, des infirmières, des filles de salle. Je sais que là, c’est un médecin, je reconnais le mouvement de ses déplacements. Dans le noir, il touche ma main, mon pouls, de sa voix grave et puissante :

— Etat stationnaire, on peut l’emmener dans une chambre privée. Les visites sont autorisées deux heures en soirée, et deux personnes maxima à la fois.

Le noir. Je me balance, je descends à fond les godilles, sa silhouette, c’est elle, je l’aime, je soulève mon trophée, elle m’embrasse, je la prends dans mes bras, le noir, elle m’aime, je l’aime, on s’aime, ma casquette tombe à terre, les casquettes jaunes s’empressent autour de moi, j’aime la vie, je suis presque mort, le noir.

— Tu crois qu’il nous entend ?

— Sais pas.

Une larme roule sur ma joue, je ne peux pas la retenir, je voudrais l’essuyer, elle roule encore, le sel approche mes lèvres, un doigt frôle ma joue, mes lèvres, un mouchoir, ou comme un mouchoir, plus de larme, juste la voix de maman.

— Mon pauvre enfant ! Tu vois, c’est bien vrai qu’il nous entend, il voudrait nous répondre. Il se réveillera bientôt, j’en suis certaine.

Des lèvres tièdes baisent mon front, ma joue, l’autre joue, j’ai moins mal, Emeline, tes lèvres, je t’aime. Le noir.

— On te laisse, mon chéri, on revient demain. On t’aime.

Le parfum de maman dans mes narines, d’autres lèvres plus sèches qui effleurent mon front. Je les reconnais, c’est papa. Le noir. Je dors, je dors pas, Emeline en robe de mariée, elle dit oui, je verse une larme, je dis… sûrement oui, mais je ne m’entends pas. Son voile blanc dans le noir voile mon regard des couleurs de l’amour et du désespoir. J’ai mal aux fesses de trop dormir, pourtant je suis debout devant l’autel et le curé, je signe sur le registre, elle signe, je porte l’enfant dans mes bras, il est né il y a bien longtemps, depuis que j’aime Emeline, je les aime tous les deux, plus encore Emeline parce qu’elle est belle et bien vivante, l’enfant, lui, il triche, c’est pas vrai qu’il est né, pis d’abord y pleure jamais, mon fils y sera cycliste comme moi, y gagnera plein de courses pour que sa chérie l’aime, la mienne elle m’aime beaucoup parce que j’ai gagné à Montmahoux, les murs de ma chambre me tombent dessus, je les repousse, et ça recommence. Le noir.  Je dors, les voitures de courses roulent sur mon ventre, se fracassent contre ma tête de lit, les bolides recommencent encore et encore, les casquettes jaunes lancent leur bâton de majorette au-dessus de moi, marchent sur mon ventre, les cyclistes maintenant, ils se vengent parce que j’ai gagné, c’est au tour d’Emeline avec sa robe de couleur chai pas, je vois rien sous sa robe, pourtant elle est debout sur mon ventre, elle se venge aussi, je ne lui ai jamais dit « je t’aime », pas grave, elle le sait. Le noir. Je dors. La voix du docteur qui prend mon poignet, son pouce sur mon pouls :

— Pas d’évolution, on peut élargir les visites de quatorze heures à dix-huit heures. Ses parents pourront même venir une heure en matinée.

Un silence, puis :

— Monsieur et madame Marquet, il ne faut pas hésiter à parler à votre fils. Il est possible qu’il vous entende. Cela ne peut que lui faire du bien. S’il aime la musique, ne pas hésiter à lui mettre un casque sur les oreilles et passer en sourdine des chansons qu’il aime, il y une petite chance pour qu’il puisse se distraire.

— Pensez-vous qu’il s’en sortira, docteur ?

Silence, peut-être que le docteur a répondu en haussant les épaules, peut-être ne faut-il pas que j’entende un verdict trop sombre. Le noir, toujours le noir. Depuis quand ? des jours, des semaines, je ne connais ni le jour ni la nuit. Je grimpe le Tourmalet, je finis premier à Avoriaz, je gagne le tour de France, Emeline me suit partout, assise côté passager auprès de mon directeur sportif, ils s’embrassent, je hurle, personne ne m’entend dans la chambre.

— Mais… mais, que se passe-t-il ? Vous avez des soubresauts. Hé, monsieur Marquet, vous m’entendez ! Pouvez-vous bouger ?

Petit silence, angoisse chez moi, stupeur chez l’infirmière. Des pas, une porte qui claque.

— Docteur ! docteur… venez voir.

Le noir, on me touche, on prend mon pouls, on roule des machines tout près de moi. Je sens des tuyaux sur mon corps, des caresses, les mains d’Emeline, des fils qui courent sur mon ventre, la tendresse d’Emeline, une main sur mon front, encore Emeline, je t’aime, m’entends-tu ? des pas qui s’éloigne, la voix grave du médecin, trop loin, déjà dans le couloir, peut-être.

 

Combien de jours ? combien de nuits ? Le noir. Combien de semaines, combien de… La porte s’ouvre, je le reconnais au courant d’air. Encore mes parents certainement. Des pas, pas les même pas que d’habitude. Silence. Le noir. Je reconnais les quatre pieds du fauteuil qui frappe le carrelage avec douceur, on me prend la main, on emprisonne mes doigts dans cette main, elle est froide, la fraicheur d’Emeline, la même sensation que lorsque l’on se frôlait les doigts entre deux cartons à l’usine de fromages. Elle ne me lâche pas la main, elle est toujours froide, moins froide, je dois lui transmettre ma fièvre, elle m’aime, je suis bien, ne lâche pas ma main s’il te plait ma chérie. Le noir. On se promène tous deux, main dans la main le long de la rivière à la sortie d’Ornans, on déjeune au restaurant du centre-ville, ça sent la quiche, j’ai pas faim, on referme la porte de la chambre, ça sent moins, j’ai pas faim, elle me tient toujours la main, je l’aime, elle ne dit rien, je t’en prie, cause-moi, peut-être es-tu dans tes songes ? Peut-être que tu pleures, peut-être que tu souris, elle m’aime, elle n’est pas venue avec notre fils, je ne l’entends pas, c’est aussi bien, il ne me connait pas, elle sert sa main entre mes doigts, je ne sais pas lui répondre, suis-je trop timide ? Le noir. Elle me lâche la main, j’ai froid, je l’aime, ses lèvres sur mon front, c’est elle, c’est Emeline, c’est comme dans mes fantasmes, je reconnais la tiédeur de sa bouche sur mon front. Le noir. Je dors… ou pas.

C’est le matin, ou l’après-midi, pas la nuit. Le noir. Y a trop de bruit dans l’hôpital, mes parents sont venus il me semble y a pas longtemps. Le souffle de la porte, les odeurs de cuisine, quatre pieds qui tamponnent le carrelage, sa main dans la mienne, un peu de douceur de lèvres sur mon front, elle serre ma main très fort, elle m’aime, on marche dans les rues d’Ornans, le petit garçon tient l’autre main de sa mère, on l’emmène pour sa première rentrée scolaire à la maternelle du coin, on s’aime. Le noir. On s’arrête devant l’immense magasin de vélo et accessoires sur le pont d’Ornans, y a pas de magasin de supermarché de vélo à Ornans ! Si. Le noir. Je m’endors, je me réveille, elle tient toujours ma main. Un long baiser sur la chair de mon front, le bruissement de l’air par la porte. Le noir.

C’est le matin, ou l’après-midi, pas la nuit, trop de bruits. Le souffle de la porte, les quatre pieds, sa main, toujours froide, son baiser sur mon front, toujours tiède, je l’aime, je l’aime, je l’aime, je laisse glisser encore une larme, tout de suite un mouchoir de papier glisse sur mes yeux, ma joue, encore un baiser, cette fois-ci sur la joue, là où roulait cette larme, je t’aime, je t’aime, je t’aime. Le noir. Deux choses douces qu’on dirait de la mousse sur chacune de mes oreilles, Angèle ! Emeline sait que j’aime la musique d’Angèle, je t’adore ma chérie, tu es trop gentille, serviable, disponible pour moi, je t’aime Emeline comme j’aime Angèle, non, Angèle est moins belle que toi, mais elle chante bien, elle chante des choses intelligentes, elle te ressemble un peu, en moins belle. Le noir. Elle a chanté à notre mariage, elle a même chanté avec Suzanne, l’une était témoin de moi, l’autre témoin de toi, elles sont presque aussi gentilles que toi, mais elles sont moins belles, elles sont belles quand même, elles chantent bien, mieux que toi, enfin, tu te débrouilles sûrement bien, quand j’aurai gagné quatre tour de France, toi tu seras devenu chanteuse, on s’achètera un mats provençal, on fera l’amour sur la plage, dans la piscine, notre garçon fera des châteaux de sable, je t’aime. Le noir. Elle est partie en me laissant les traces humides de ses lèvres sur mes deux joues, elle m’aime. Encore le noir.

C’est le matin, ou l’après-midi. Le noir. Sa main emprisonne mes doigts, de la mousse sur mes oreilles, aujourd’hui c’est Suzane, je l’aime, mais moins que Emeline, et maintenant qu’Emeline est une vedette de la chanson française, Angèle et Suzanne ne sont plus de taille à rivaliser avec ma chérie, quand-est-ce que Emeline caressera mes oreilles de ces douces mélodies ? Le noir. On est dans notre mats provençal, on s’aime, notre fils, ou peut-être notre fille dort dans la chambre à l’étage, Emeline et moi, nous faisons l’amour au bord de la piscine, son dos fragile sur le marbre, mon torse musclé sur ses seins, on s’aime. Le noir. Elle me quitte en laissant fredonner Suzanne dans mes oreilles, je l’aime.

Combien de semaines, combien de mois ? Et chaque matin, ou chaque après-midi, peut-être tous les deux, entre deux visites de papa, maman, elle me tient la main, ne se lasse jamais, reste longtemps, très longtemps, parfois je dors au creux de sa main. Le noir. On retire nos sous-vêtements au bord de la piscine, elle me caresse, sa main sur ma joue, l’autre joue, le bout de ses doigts fins et froids sur mon front, elle retire mon casque, éloigne Angèle et Suzanne, elles n’ont pas besoin de mater ! elle caresse mon menton, je me laisse faire, c’est si bon, je soupire, je respire de grandes bouffées de Provence, elle pousse légèrement le drap, caresse mes clavicules, juste un doigt, l’index peut-être, elle passe un peigne fait de doigts un peu froids dans ma chevelure blonde, je me laisse faire, je suis bien, je soupire, je sens son haleine sous mes narines, elle baise le bout de mon nez, son parfum, ah ! son parfum unique, envoutant, c’est comme ça que je sais que c’est elle sans jamais me tromper, ses mains froides et son parfum. Le noir. Elle dépose un baiser sur mes lèvres, il est long, sensuel, mes lèvres s’entrouvrent, Emeline pousse la tiédeur de ses lèvres jusqu’au plus loin possible dans ma bouche, ses deux mains tiennent maintenant mes dix doigts, je ne respire plus, je respire, puis plus, puis je respire, je l’aime, le parfum s’éloigne, le goût du baiser reste sur mes lèvres, ma langue, dans ma bouche, s’engouffre dans l’œsophage, rejoint le cœur, rebondit à mon cerveau, j’ouvre les yeux à l’instant où elle franchit la porte de la chambre, j’ai reconnu sa silhouette, celle qui m’a laisser tomber sur le goudron de Déservillers, je l’aime, il fait jour, il n’y a plus de noir.

  

*****

 

La porte s’ouvre, ce sont mes parents. Mon dieu qu’ils sont souriants ! Ma mère se précipite, je suis encore fragile, fragile mais bien vivant, elle me serre dans ses bras, m’embrasse de partout sauf mon bras gauche plein d’aiguilles et de pansements, elle pleure, elle ne dit rien, sa tête sur ma tête, elle serre ma main droite de sa main tiède, papa s’approche à son tour, plus discret il m’embrasse sur le front, prend mes doigts droits, serre très fort de ses doigts forts.

Les deux en même temps :

— Nous avons tellement eu peur de te perdre, quel miracle de te revoir parmi nous !

Et moi donc ! revoir vos vrais visages emplis de compassion après avoir bu vos paroles, parfois incohérentes dans mon cerveau malade, mais toujours belles de bonté.

Ils me causent longuement, debout devant mon lit, leurs paroles mélangées à leurs sourires, je réponds par des hochements de tête qui me tournent la tête, je vous aime, je vous aime, mais pas pareils qu’Emeline, je vous aime parce que vous êtes clémence et attendrissement, mon assurance et mon assistance, Emeline, je l’aime parce qu’elle est beauté et légèreté, elle est pureté et majesté, je l’aime, je l’aime, je l’aime. 

Ils me quittent, plein de joies, plein de sourires, même leurs dos montre leur bonheur lorsqu’ils franchissent la porte, ils me lancent un petit signe, je leur rends un pâle sourire, je ne peux pas lever le bras gauche, je n’ai pas la force de soulever le bras droit, je vous aime, comme je vais aimer la vie.

Je sommeille, je me réveille parce que la porte s’ouvre, sans grincements, juste le souffle du couloir et l’odeur des cuisines proches, aurai-je droit au goût de l’odeur de la soupe aux potirons ? Non, mais le mets est de loin autrement succulent, la silhouette approche, suis-je encore plus amoureux ? Mes yeux se ferment devant tant de charme, je veux déguster l’instant comme du temps du noir, j’attends ses lèvres sur mes lèvres, comme le noir avant le jour, comme l’amour avant la vie, je reconnais les quatre pieds du fauteuil qui frôlent mon lit, son parfum qui m’enveloppe, cette main froide qui caressent mes doigts, elle pose sa bouche sur la mienne, je souris dans le silence, elle se laisse surprendre par mes lèvres qui s’entrouvrent puis sourient, elle lâche mes doigts, elle se lève, craint-elle mon réveil ? je garde les yeux fermés, ne pas l’affoler, juste l’ensorceler doucement, avec le temps, mon sourire m’a quitté, j’entends le glissement de son joli fessier qui se pose à nouveau sur le fauteuil, elle emprisonne mes neufs doigts (l’un est déjà prisonnier du testeur d’oxygène) de ses dix doigts.

— Je t’aime,

Elle a saisi mon audace puisque ses dix doigts serrent très fort mes neufs doigts, puisqu’elle répand à nouveau son parfum sous mes narines, son charme dans la nuit me suffit, je déguste l’instant puisqu’elle pose ses lèvres sur les miennes entrouvertes, puisqu’elle caresse maintenant mes cheveux. La nuit, plus de noir. Douce tendresse ! immersion dans un océan d’amour ! j’ouvre les yeux, trop près de moi, son visage se trouble, son haleine se mélange à son parfum, ma sueur coule sur mon corps frissonnant de désirs, je l’aime, elle m’embrasse encore, je ferme les yeux, ouvre les yeux, elle me murmure plein de je t’aime, je le savais, oui je savais qu’elle m’aimait, j’ai bien fait de tomber sur le goudron, j’ai bien fait de m’évanouir dans le néant, j’ai bien fait d’écouter les murmures de la vie, elle a bien fait d’entrouvrir mes lèvres dans le plus beau baiser du monde, c’est ainsi que j’ai pu entrouvrir mon cerveau encore malade, oser lui dire aujourd’hui « je t’ aime ».

— Chut ! je sais, tu aimes, murmure t’elle, faut pas t’agiter, toi, encore fragile.

Elle ne parle pas, elle chuchote, je ne vois que son parfum entre elle et moi, un voile doré qui ressemble au soleil, la douceur de l’amour qui s’infiltre par la fenêtre, ses seins touchent ma poitrine, elle glisse au creux de mon oreille, d’abord des grammes, puis des kilos, bientôt des tonnes de je t’aime qu’on dirait que c’est son prénom, elle change d’oreille mais garde sa musique, Suzanne, Angèle, Emeline, elle me chuchote entre deux je t’aime des mots du travail, de la fromagerie, de Cléron, que je vais bientôt revenir auprès d’elle avec son sac de plastique sur la tête, elle éclate de rire, je chuchote dans sa longue chevelure que ses mains sont froides comme lorsque l’on se frôlait entre deux cartons, elle me répond que l’on ne s’est jamais touché entre deux cartons et donc que je ne peux pas deviner qu’elle avait les mains froides, mais si, que je dis, puisque dans mon coma j’ai vu combien elles étaient froides, mais si douces.

De mon coma, en suis-je vraiment sorti ? Elle se recule, je vois son visage, encore plus jeune et plus doux que dans la vraie vie, encore plus souriant, c’est vrai qu’elle souriait peu, tellement attentionnée, c’est vrai qu’elle semblait indifférente, elle appuie à nouveau sa bouche sur mon oreille, elle m’envoie un baiser au fond de mon esgourde que sa résonne pas du tout Angèle ou Suzanne ou Emeline, mais ça retentit dans l’éclat de rire qui s’en suivit. Ah, que ce bruit si désagréable et si charmant me laisse un goût de joie intense, je ne savais pas Emeline si amusante, si pétillante, si aimante ! Elle recule son visage, prends mes joues maigres dans ses mains froides, m’embrasse encore, elle glisse son chewing-gum de sa langue sur ma langue, puis son haleine à la menthe chuchote :

— Quand je pense, toi me regarde pas au travail, mais c’est grâce à ta timidité que je comprends qu’en fait tu aimes, hein que moi, tu aimes ?

— Oui, ma belle chérie, je t’ai toujours aimée, je n’osais pas te le dire, mais mes pensées n’étaient que pour toi, jour et nuit, même dans le noir de mon coma.

— Et moi sous les néons de la fromagerie, je voie les yeux, je rêve le corps.

— Malade dans ma nuit, je pensais à toi, je me remémorais cette course, ta silhouette en bas de cette descente de Deservillers, c’est ta magnifique silhouette qui a failli me perdre, c’est ta silhouette dans ce virage qui m’a montré le chemin de l’amour dans cette longue nuit, ton baiser sur mes lèvres, ce geste miraculeux qui m’a réveillé à la vie.

— Toi, rappelle-tu au moins mon prénom ?

Je souris de cette question, comment oublier un si beau prénom !

— Jamais dans le vestiaire, jamais dans la cour, jamais dans l’atelier, jamais, toi me causer, comment connaitre je suis qui ?

Pleine de vie, pétulante et heureuse de me voir bien vivant, elle jouait à jouer de moi, alors je souris, ferme les yeux, ses lèvres se pose sur mon oreille :

— De ta longue nuit, peut-être oublié, toi, que je m’appelle Sofiya, ta petite Ukrainienne que toi, aime mais regarde jamais, cause moins encore.  

J’essaie de comprendre, je la repousse de ma main valide, son parfum s’envole, son visage loin de moi n’est pas celui que je croyais, je vois trouble, ma tête s’embrouille, je ferme les yeux, j’ouvre les yeux, une infirmière entre dans la chambre, Emeline… euh… l’autre sort dans le couloir.

— Il ne faut pas vous agiter comme cela, monsieur Marquet, vous êtes faible, restez calme.

L’infirmière passe sa main tiède sur mon front, elle me sourit, elle s’en va en me lançant depuis la porte qu’elle va m’apporter un bol de soupe, de la soupe au potiron. Si mon ouïe et ma vue trichent encore, au moins mon odorat dit juste, c’était bien le parfum d’Emeline que je goutais tout à l’heure, c’était bien la soupe de potiron que je flairais.

Deux filles entrent dans ma chambre, l’une porte un bol de soupe, l’autre rien, je ne sais pas laquelle n’est pas Emeline, sûrement celle qui semble lui ressembler, elle est belle, jeune, une longue chevelure, la même qu’Emeline, la même taille mannequin à peine trop petite pour être mannequin, un immense sourire, pas vraiment celui d’Emeline, c’est mieux. Elle parle avec la fille de salle qui tient le bol de soupe, c’est drôle que je n’eusse pas remarqué cet accent slave ou tartare, quelle est belle !

Je mange ma soupe, c’est dur à avaler, j’ai perdu l’habitude, la fille de salle veut m’aider, elle se laisse refouler par la gentillesse de Sofiya, c’est Sofiya qui porte la cuillère à ma bouche, elle ouvre la bouche en même temps que moi, comme la maman qui donne Blédina à son bébé, je l’aime. Je mange la moitié, j’en veux plus, je regarde les grands yeux bleus de l’Ukrainienne, ils sont beaux comme ceux d’Emeline, plus amoureux aussi, je l’aime.

— Toi savoir, me dit-elle en posant la cuillère sur ma table de lit, Emeline que tu quittes pas les yeux, elle veut pas de toi, t’aime pas, elle dit souvent : elle trouve toi niais et comment elle dit aussi, ah oui ! toi, quelconque.

— M’en fout, c’est toi que j’aime.

Je m’endors. Lorsque je me réveille elle n’est plus là, je me souviens juste que dans ma nuit, une bouche embrassait mon front, mes oreilles, mes paupières, mon nez, mes joues, mon torse, j’ai souvenir de plein de je t’aime, je me souviens aussi de ce baiser sur mes lèvres, long, éternel, je me souviens aussi de sa silhouette, ce charme, cette élégance, cette fée qui m’a fait chavirer dans ce virage en bas de Déservillers.


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