lundi 21 février 2022

JOURNEE INTERNATIONALE DE LA LANGUE MATERNELLE

 


Bonjour à tous.

C’est aujourd’hui la journée internationale de la langue maternelle. Ouf ! on peut donc espérer parler français sans intonation anglaise… quoique… parait-il, certains mots d’outre-Manche sont franchement entrés dans notre quotidien. Pourquoi pas ? Qui imaginerait aujourd’hui remplacer le mot interview par « interrogatoire », ou « questions à une vedette » ou « puis-je en savoir plus sur vous » ? Mais pour bien d’autres termes, le franglais devient envahissant.

 OK (zut j’écris de l’anglais !) l’informatique avec tous ces géants de la Silicon vallée ont su, grâce à leur avance technologique, nous imposer leur monde, leur culture et leur langue high-tech (merde, j’écris encore de l’anglais). (« Merde », au moins, c’est français.) Mais en dehors de l’informatique, bien d’autres termes anglais s’infiltrent dans notre vocabulaire. Pas sûr que c’est à notre avantage.

Merci donc à la défense de la langue maternelle (et paternelle… soyons un peu solidaires des hommes quand même) puisqu’en ce 21 février, l’UNESCO fait la promotion de la langue de chaque nation, voire de chaque région.

J’en reviens au franglais, dont l’Académie française a récemment rédigé un rapport contre l’intrusion trop fréquente de mots anglais dans notre belle langue de Molière. Ce qui me fait le plus ragé, c’est qu’un nombre impressionnant de créateurs de contenus, de blogueurs, youtubeurs (merde… encore des origines douteuses), je disais donc, pour en revenir à ma phrase inachevée à cause des mots Youtubeurs et Merde, c’est exaspérant que des auteurs de romans et conférenciers en écriture, donc donneurs de leçons, se servent de podcast (zut et merde ! Est-il encore possible d’écrire une phrase entière avec juste des mots français ?), je disais donc, les donneurs de leçons utilisent beaucoup de termes anglais sur leurs podcasts et autres sites. Ces blogs d’écriture qui par définition informent le lecteur de comment bien écrire des romans, des nouvelles, se croient les véritables chevaliers de la littérature française. Mais veulent-ils vraiment mettre en avant la langue française ? Pas sûr. Ils me laissent plutôt le gout du bizness (bizness, c’est français ?), l’idée de montrer à leurs adhérents comment bien écrire pour gagner sa vie par l’écriture. L’idée en soi pourrait être noble, enfin… un tout petit peu noble, si ce n’était au détriment justement de notre belle et riche langue nationale.

En effet, au hasard d’un blog d’écriture, parmi tant d’autres, j’ai dû cliquer (cliquer, c’est français ? Ah oui !)  sur Keep reading ou Older post (pour les idiots qui ne connaitraient pas l’anglais : « continue de lire » et « message plus ancien »), alors pour les idiots comme moi, j’ai dû faire appel à un traducteur en ligne. Pour le reste de la leçon d’écriture « apprendre à bien écrire un roman en français », j’ai croisé un nombre incalculable de mots tels que urban, héroic, dark fantasy, Timelane et bien d’autres. On en arrive aujourd’hui à ne plus pouvoir écrire en bon français, à ne plus savoir exprimer ses émotions dans la langue de Molière. Ah si, dans des millions de SMS on arrive à se comprendre ! y a les émojis, des smileys. Du coup j’ai mis un s au pluriel d’émoji, de smiley, mais je ne suis pas sûr, je ne connais pas la grammaire du franglais.

 Au fait… émoji ! ce n’est pas l’anglais qui déborde notre bon français, c’est plutôt le japonais. En effet, on se comprend beaucoup mieux dans cette langue un peu chinoise ! (Désolé, je n’ai pas osé finir cette dernière phrase avec un émoji).

Par de simples mots français, l’on peut exprimer sa colère par une syntaxe parfois ironique, mais autrement plus délicate, et il en est de même pour toutes les émotions parce que prendre le temps d’écrire laisse une marque de respect envers l’autre. La seule émotion que me procure l’expéditeur d’un émoji, c’est celui de la rapidité, comme s’il était utile de vite échanger et de passer à autre chose. Et puis, une tête parfaitement ronde avec des yeux tout noirs, pas sûr que c’est cousine Germaine ou tante Huguette !


Et pour ceux qui aiment les sagas familiales : 

La suite "Le sang de l'Hermitage"

Année 1941

 

Après le Nouvel An, la neige tomba abondamment. Il fallut atteler le Comtois qui tirait le triangle pour ouvrir le chemin jusqu’à la grande route de Levier. Angèle et ses cousins pourraient ainsi marcher plus facilement sur le chemin pour rejoindre, ou la fromagerie, ou l’école Saint-Joseph.

— J’n’aime pas les frères religieux, ils sont trop sévères.

Chaque matin c’était la même remarque et souvent, au retour de l’école :

— Sont méchants les frères, et puis ils sont pas beaux.

De toujours entendre la même rengaine, Jeanne haussait les épaules et ne disputait même plus sa fille. Faut dire qu’elle semblait d’accord avec Angèle. Lorsque sœur Marie-Madeleine se trouvait dans les parages, ce n’était pas la même histoire et la tante prenait alors la jeune fille par la main. Elles partaient toutes les deux au fond du couloir, entraient dans la chapelle et s’agenouillaient. Marie-Madeleine, engoncée dans sa robe-chasuble, priait pour sauver l’âme de sa nièce, et Angèle bougeait les lèvres, sa conscience immobile s’inventant une vie joyeuse.

Le jeudi après-midi, Angèle partait à pied à l’annexe du château pour suivre des cours de piano. Monsieur Tourel, un vieux musicien rémunéré par le comte, attendait sagement son élève.

— Vous êtes gentil, monsieur Tourel, c’est pas comme les frères religieux.

Monsieur Tourel posait son doigt sur sa bouche.

— Chut ! Allez au travail.

Angèle n’aimait pas le solfège, mais dès que ses petits doigts couraient sur le clavier, les yeux fixés sur sa partition, tout son être plongeait dans un autre monde. Elle se surprenait parfois à fermer les yeux, et les notes continuaient de s’égrainer, justes et mélodieuses.

— Tu es une brillante élève, mon enfant.

Angèle était fière de cette fréquente remarque. Alors elle rejoignait l’Hermitage à clochepied, toujours en chantonnant, que ce soit sous la neige ou la pluie, le soleil ou le froid. Les grands cousins partaient souvent à sa rencontre, tantôt Louis, tantôt Georges, plus rarement Marcel. Quelquefois Pierrot s’aventurait sur le chemin pour raccompagner sa cousine. C’était à celui qui pouvait s’attirer les faveurs de la jeune fille. Et Pierrot se sentait privilégié, puisqu’à bientôt seize ans, il n’avait que trois petites années d’écart avec sa cousine. Et la petite blonde, espiègle, jouait de ces jalousies.

Pierrot n’allait plus à l’école puisqu’il devait aider à la ferme. Mais il préférait passer son temps à courir la forêt, rôder autour du parc du château ou surveiller ses frères. Était-il pieux ? Personne dans la grande famille ne pouvait le dire, toujours est-il qu’il passait beaucoup de temps à la chapelle, presque autant que sa tante Marie-Madeleine. Mais pendant que la religieuse priait, Pierrot rêvassait. Parfois il allumait un cierge, brulait un peu de cire en penchant la bougie sur l’autel, posait le cierge dans la cire fondue, puis un deuxième, un troisième, et d’autres encore, jusqu’à faire un cercle. Il plaçait en son centre un couteau en bois de sa fabrication. Il se reculait puis entonnait un cantique sombre.

— Je t’ai déjà dit que ce n’était pas une secte ici, mais une chapelle pour prier notre seigneur Jésus.

— Dis donc, tata, t’es la première à bruler des cierges, pourquoi pas moi.

— D’abord, ces temps-ci faut économiser. Des bougies, on va bientôt en manquer.

Alors, comme un affront, Pierrot ajoutait un cierge de plus autour de son cercle, chantait son cantique intriguant et quittait la chapelle en marmonnant.

 

En ce mois de neige et de vent froid, Germaine ne mit pas le nez dehors. À part la traite des montbéliardes, elle laissa ses fils s’occuper des soins du bétail et de l’entretien du matériel. On venait de tuer le cochon, alors le salage, le fumage, les conserves, tout cela l’occupait bien. Les terrines bouillaient dans la lessiveuse et les arômes de la cuisson embaumaient la maison et cachaient l’odeur du bétail. Sa mère Marguerite donnait le coup de main malgré son âge et son corps rachitique, les nerfs remplaçant les muscles. Alors après le souper, la vieille partait se coucher de bonne heure. Et pendant ce temps, son mari trainait dans la grande cuisine, sa santé allait mieux. Il se surprenait même, certains samedis soir, à taper le tarot avec Louis et Georges. Souvent son fils Joseph se déplaçait à vélo depuis le château, une main sur le guidon, l’autre tenant la lampe électrique. C’était le quatrième homme pour jouer aux cartes.

Victor cracha, renifla et s’essuya le nez.

— Et pis ce soir, t’as pas emmené la Maria ?

— Oh, la Maria ! Tu l’imagines courir à pied derrière le vélo, répondit Joseph dans un grand éclat de rire, comme que comme, elle s’occupe des gamins. Elle est bien mieux au chaud à la maison.

– T’as pas peur que l’autre de la ferme du château vienne la r’eluquer pendant qu’t’es ici ? ricana Victor.

Et l’hiver se déroulait ainsi, entre la traite et le soin des bêtes, les allées et venues à la fromagerie avec l’âne et les bidons, la cuisine de Germaine, la bonne humeur de Victor le ressuscité, les sourires des cousins, la sournoiserie de Pierrot, les coquetteries de Jeanne et ses longues soirées au tricot ou à la couture. Et pendant ce temps, Erwan restait discret, dormait dans la paille, refusait le lit douillet et apprenait tranquillement la langue de Molière. Angèle venait discrètement dans la grange pour retrouver le jeune allemand. Elle s’asseyait sur la paille à ses côtés pour donner les premières leçons de français. Elle le trouvait beau depuis qu’il avait rasé sa barbe.

— Tu vois Erwan, on ne dit pas Allemande, on dit Allemand. Allemande, c’est fille. Moi, Angèle, moi fille. Toi, Erwan, toi, garçon. Moi Française, toi Allemand. D’accord ?

Puis elle joignait le geste. Une fois l’index sur son ventre, une fois sur la poitrine d’Erwan.

— Ah ja, moi compris !

— Non toi rien compris, parce qu’ici, en France, on dit oui, pas ja… compris ?

Et il en était ainsi tous les dimanches après-midi de l’hiver et, lorsque le mois de mars arriva, Erwan commençait à baragouiner quelques phrases cohérentes.

 

*****

 

Ce matin-là du mois de mai, alors que Jeanne et sa fille longeaient un buisson de Bellecombe, chacune un imperméable sur le dos et un sac de toile à la main, elles croisèrent Pierrot, un panier d’osier posé sur l’avant-bras où rampaient quelques gastéropodes.

— Mais c’est nouveau ! On ne va pas aux escargots avec un panier, s’exclama Angèle.

Pierrot essaya de sourire :

— Je n’ai rien trouvé d’autre. Et puis c’est mieux que vos sacs, elles étouffent les bestioles, là-dedans.

— Eh bien non justement, les nôtres, ils sont tous rentrés dans leur coquille. Les tiens, ils sont à l’air, ils cherchent à se sauver. Regarde, y en a qui court sur le bord du panier.

Au même instant, l’escargot, de trop se pencher sur l’osier, tomba au sol. Aussitôt Pierrot l’écrasa sous sa botte.

— C’est bienfait pour toi, t’avais pas besoin de t’sauver.

Angèle, déçue par ce geste cruel, dévisagea son cousin. Il avait le visage fin et les joues creuses. Le nez droit et serré dominait une bouche aux lèvres délicates. L’œil noir, brillant, mystérieux, évoquait une énergie brutale. Cette beauté obscure troublait la jeune cousine.

Pierrot guetta Jeanne qui s’éloignait en bordure de bois.

— Viens, cousine Angèle, on va de notre côté, je sais où il y a plein d’escargots.

Angèle suivit, comme une envie honteuse, comme si elle voulait comprendre ce charme envoutant. Ils s’aventurèrent sous une pluie fine jusqu’au fond de Bellecombe à la limite de Labergement, glanant quelques escargots.  

— Il faut faire demi-tour, Pierrot, il est bientôt midi, on va se faire disputer.

Le cousin se tourna vers elle, s’agrippa à son avant-bras :

— Pourquoi t’es toujours avec Louis ou Georges, et moi alors ?

— Pourquoi tu dis ça Pierrot, je suis bien avec toi ce matin ?

— Oh ! c’est tellement rare.

Il fixa sa cousine de ses yeux noirs :

— À partir d’aujourd’hui tu passeras plus de temps avec moi et tu laisseras les autres de côté.

— Non, mais dis donc, ça ne va pas ! Je fais ce que je veux. Il n’est pas question de laisser tomber Louis et Georges. Et puis Marcel aussi je l’aime bien !

— Tu as tort, ils sont trop vieux pour toi. J’ai presque ton âge, c’est avec moi que tu dois t’amuser.

— Viens, Pierrot, on rentre, je t’aime bien aussi, tu es différent, mais je t’aime bien. Mais faudra plus écraser les escargots, promis ?

Angèle prit son cousin par la main. Ils rentrèrent à la ferme en courant, les bruits des coquilles s’entrechoquaient dans les sacs de toile.

 

 

*****

 

 

Le soleil inondait la combe et la période des fenaisons se préparait. Les montbéliardes broutaient l’herbe tendre sur les hauteurs de Malvaux derrière la ferme. Elles secouaient leurs oreilles, tapaient de la queue, les mouches envahissaient leurs yeux. Germaine sortait un Comtois de l’étable pour l’atteler à la faucheuse lorsqu’elle entendit des cris. Elle se redressa en s’essuyant les mains dans son éternel tablier noir et blanc. Elle reconnut Joseph au milieu du troupeau de vaches et qui s’approchait de la ferme, son fils Jeannot à ses côtés. Lorsque l’enfant reconnut sa tante, il lâcha la main de son père et courut jusqu’à la porte de l’écurie :

— Tata, tata… les Allemands…

Il reprit son souffle.

— Les Allemands… ils ont attaqué…

Joseph s’approcha, prêt à donner des explications. Sa sœur le dévisagea, inquiète.

— Qu’est-ce qui se passe, Joseph ?

— T’affole pas, c’est pas pour nous. Le gosse, il est tout excité, en fait les Allemands ont envahi la Russie.

— Je vous avais bien dit… ils attaquent. Ils sont forts ces salauds d’Allemands.

— On ne cause pas comme ça, Jeannot. Ça a beau être des Allemands, on ne cause pas comme ça. Si sœur Marie-Madeleine t’entendait !

Le gamin baissa la tête, son père sourit. Erwan sortait de l’écurie avec le deuxième cheval comtois. Le frère et la sœur se tournèrent vers lui. Le juif allemand se figea :

— Problème grave ?

— Non, non… approche Erwan, dit Joseph.

Erwan s’étonna :

— J’ai fait un bêtise, ja ?

Le petit Jeannot riait de l’accent allemand. Mais il l’aimait bien, Erwan. Tout le monde l’appréciait, que ce soit au château ou à la ferme. C’était un garçon travailleur et toujours souriant. Il se plaisait à l’Hermitage, il aimait raconter que la France était le plus beau pays du monde et que les forêts de Levier étaient aussi jolies que la forêt noire.

Tous quatre tiaffaient dans des flaques de purin qui stagnaient devant la porte de l’écurie. Joseph jeta son mégot au pied de ses godillots.

— Dis donc, t’en penses quoi, toi, que tes compatriotes ont attaqué la Russie ?

— Compatriotes ?

Pour une fois que Joseph cherchait de beaux mots ! Il se rendit compte de sa bévue. Il reposa sa question en détachant chaque syllabe ?

— L’Alle magne… a dé claré… la guerre à… Ru ssie. Tu es… con tent ?

Erwan tenait toujours la bride du cheval qui hochait de la tête. Tout en caressant le dos du Comtois, sans trahir aucune émotion, il répondit, jetant un œil vers sa patronne :

— Hitler est fou. La guerre sera perdue. Vous… bientôt libre… et moi…

Il laissa couler une larme. Était-ce un réel bonheur ? De l’amertume ? Où croyait-il vraiment à ce qu’il disait ?

Germaine se tourna vers son frère :

— Tu vas en parler à ton père ? Je suis sûr qu’il sera content de savoir qu’Hitler a un ennemi de plus.

Joseph traversa l’écurie pour retrouver Victor qui devait trainer quelque part dans la ferme. Lorsqu’il le découvrit, assis sur un banc sous l’avant-toit, le regard vers le fond de Bellecombe, il lui annonça la nouvelle dans la bonne humeur. Mais Victor semblait loin de la guerre. Il se tenait le ventre, souffrait de ses brulures d’estomac, et ce matin il venait de vomir tout son petit-déjeuner.

 

À l’Hermitage, toute la famille suivait la rechute du vieux. Il gardait à nouveau le lit et les filles s’inquiétaient. Grand Dieu, c’était déjà bien beau ce répit que le seigneur lui avait accordé, se disait Joseph qui acceptait l’évidence.

Les foins se fauchaient, les moissons aussi, et tous les fils aidaient la brave Germaine dans les travaux de la ferme, tous… non. Pierrot le garnement courait les bois dans la journée, chaque soir il souillait la chapelle avec de noires prières. 

 

En cette fin d’après-midi, le soleil fléchissait derrière les sommets de Palentin. Cheminant le long des haies à l’approche de la fromagerie, Jeanne égrainait les mures noires et juteuses qui tombaient dans le bidon de fer-blanc accroché à la ceinture de son tablier. Angèle suçait le bout de ses doigts sucrés de sa langue violette.

— Arrête de t’empiffrer et cueille donc, sinon je te prive de confiture.

— Je sais bien que ce n’est pas vrai !

Et la jeune fille aidait sa mère, le sourire aux lèvres.

Au détour de la route qui emmenait au château, toujours à glaner les fruits rouges, les deux femmes reconnurent Pierrot au loin qui s’engouffrait dans le bois, direction l’ancienne cabane du garde forestier. Curieuse, Angèle décida de courir derrière son cousin pour voir ce qu’il manigançait. Elle s’écorcha les chevilles en traversant les ronces, buta sur les souches, sauta par-dessus les fougères basses, elle fut bientôt quelques dizaines de mètres derrière Pierrot. Elle le surprit à pousser la porte de la baraque forestière. Elle s’immobilisa au pied d’un sapin, se demandant ce que pouvait bien mijoter son cousin dans cette bicoque inhabitée. Pierrot ressortit bientôt de la cabane, accompagné d’un jeune homme sensiblement du même âge que lui. Elle se cacha derrière son arbre.

L’homme se voutait malgré son jeune âge et montrait quelques poils trop longs sous son menton. Il discutait avec Pierrot, mais ne parvenaient jusqu’à Angèle que quelques miettes de conversations. Ils traversèrent le chemin caillouteux qui longeait la cabane et s’arrêtèrent. Ils s’accroupirent, et le jeune homme à la triste barbiche traça un cercle dans les gravillons avec un bâton. Les voix parvenaient maintenant jusqu’à la jeune fille.

— Tu te mets debout dans ce cercle.

Pierrot, discipliné, se releva et se posa à l’intérieur du cercle. Angèle, attentive, suivait la scène, la tête dépassant à peine du tronc de l’arbre, ses mains sur l’écorce, ses frêles épaules cachées par le gros sapin. Elle vit l’inconnu se reculer d’une dizaine de pas en fixant Pierrot de ses yeux noirs, les mêmes yeux noirs et perçants que le cousin.

— Tu regardes mes yeux et tu ne les quittes pas. Respire calmement, regarde toujours mes yeux et dors… tu dors… tu dors toujours… et maintenant je t’ordonne de t’assoir.

Pierrot s’assit.

— Maintenant, lève-toi, viens et embrasse-moi sur le front.

Le cousin obéit.

— Retourne dans ton cercle… voilà, comme ça… et maintenant, réveille-toi.

Pierrot souleva ses paupières.

— C’est bien, Pierrot, je suis fier de ma réussite. Grâce à toi je progresse.

— Qu’est-ce que j’ai fait, Diogène ?

— Rien de spécial… on discutait de nos expériences, je t’ai endormi, tu as parfaitement exécuté mes ordres pendant ton sommeil et maintenant tu es réveillé.

— Alors, ça a marché ? s’exclama Pierrot, tout excité.

— Je n’en ai jamais douté.

Angèle ne comprenait rien. Elle était tout simplement ébahie devant cette scène où son cousin venait de se soumettre face à ce freluquet. Elle attendit encore quelques instants. Les deux adolescents entrèrent à nouveau dans la cabane puis ressortirent presque aussitôt, chacun chargé de récipients en verre. Devant la maisonnette, Diogène versa un liquide bleu dans une fiole que tenait Pierrot. Derrière son arbre, Angèle sentit le besoin de se gratter le dos. Elle piétina alors sur du bois mort qui craqua sous son talon. Les deux garçons, accroupis devant leurs fioles, levèrent la tête. Démasquée, Angèle se mit à courir à travers les ronces, zigzaguant entre les épicéas, essayant de rejoindre au plus vite la route du château. Pierrot s’élança aussitôt à sa poursuite, Diogène préféra surveiller ses flacons et ses carafes. Mais la jeune fille n’était pas de taille à lutter contre le garnement des bois. Son cousin eût tôt fait de poser les mains sur ses épaules. Tout essoufflée, elle se tourna face à Pierrot. Deux yeux méchants jaillirent du visage du garçon.

— Qu’est-ce que tu fais là, petite garce ? Tu as tout vu ?

— Oui et je vois que tu as trouvé ton maitre, tu n’étais pas très fier quand il te donnait des ordres.

Pan ! Une violente claque s’abattit sur la joue de la jeune fille et les cheveux blonds s’envolèrent pour retomber sur ses larmes.

— Tu es méchant, Pierrot, je ne t’aime plus.

— On verra. Allez, sauve-toi vite avant que je recommence et surtout, surtout, ne dis à personne ce que tu as vu, sinon…

Le geste avec le poing serré montrait que le grand ado serait violent. Angèle courut dans le bois, essuyant ses yeux mouillés du revers de sa fine main. L’œil narquois de Pierrot regardait les mollets nus s’enfoncer dans les ronces.


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